Yukari Iwatani Kane a assuré ce week-end la promotion de son livre Haunted Empire : Apple After Steve Jobs dans le Wall Street Journal où elle fut journaliste. L'auteure offre un condensé de son enquête, à paraître le 18 mars, qui porte sur l'Apple de l'après Steve Jobs. Un ouvrage dont les premiers extraits ont fait bondir quelques observateurs proches de Cupertino qui craignent un livre à charge contre Tim Cook fait de racontars. Dans ces bonnes feuilles, l'ex-journaliste dresse le tableau sombre d'une entreprise qui aurait perdu la capacité d'innover à la mort de son charismatique cofondateur. En attendant d'avoir Haunted Empire : Apple After Steve Jobs entre les mains, en voici l'avant-goût donné.
Tim Cook, l'homme discret
Yukari Iwatani Kane remonte jusqu'à l'enfance de Tim Cook. Le patron d'Apple grandit dans le sud des États-Unis, dans la petite ville de Robertsdale, où son père est contremaître et sa mère femme au foyer. Il est le deuxième d'une fratrie de trois. Il n'est pas vraiment sociable, mais il est apprécié de ses camarades. Très travailleur, il gagne le prix de l'élève le plus studieux et remporte un concours de rédaction organisé par l'Alabama Rural Electric Association.
Il commence sa carrière chez IBM puis part travailler chez Intelligent Electronics, un petit revendeur d'informatique dans le Colorado. En peu de temps, l'entreprise voit ses revenus doubler. Il passe ensuite chez Compaq où il est finalement repéré par Apple. « Pourquoi ne viendriez-vous pas rencontrer Steve Jobs ? », lui demande le chasseur de têtes de Cupertino. En 1998, seulement quelques mois après le retour de Steve Jobs, Tim Cook intègre une Apple en pleine restructuration. Celui qui s'occupe dorénavant des opérations de l'entreprise demande à avoir un bureau à proximité de celui de son supérieur. Malgré la situation catastrophique d'Apple qui a échappé de peu au dépôt de bilan, Tim Cook se montre intransigeant avec ses fournisseurs sur la qualité des produits et les prix.
Sur le campus, il est discret. Grand amateur de sport, il ne profite pas des installations mises à disposition pour les employés, mais va s'entraîner en dehors de l'enceinte. Yukari Iwatani Kane raconte une anecdote révélatrice de la pudeur de Tim Cook. Alors qu'iMovie va bientôt sortir, Steve Jobs demande à ses subordonnés de tester le logiciel en faisant de petits films personnels. Tim Cook réalise un état des lieux de l'immobilier à Palo Alto... et ne révèle rien de personnel. Il ne vit pas non plus dans sa bulle. Quand il est intronisé CEO, il prend le soin de déjeuner avec des personnes différentes pratiquement tous les jours à la cantine. Steve Jobs, lui, mangeait exclusivement avec Jonathan Ive.
Tim Cook ne montre jamais de signes excessifs de richesse. Sa première voiture de sport est une Porsche Boxster, considérée par les puristes comme la Porsche du pauvre — c'est le modèle d'entrée de gamme. Sa maison est aussi relativement modeste en comparaison de son salaire. Il a d'ailleurs longtemps vécu dans un appartement miteux sans climatisation, alors qu'il gagnait déjà bien sa vie. Il disait que ça lui rappelait ses origines modestes.
Steve Jobs était connu pour ses réunions mouvementées et rapides. Son successeur est à l'exact opposé, rapporte l'ancienne journaliste du Wall Street Journal. Ses réunions peuvent durer plusieurs heures. D'un calme impressionnant, il est capable de déstabiliser un interlocuteur en le fixant silencieusement pendant plusieurs minutes jusqu'à ce qu'il obtienne ce qu'il veut. C'est en quelque sorte le pendant zen des excès de colère de Jobs. Et là où Jobs congratulait l'effort individuel et mettait les personnalités en avant, le nouveau patron privilégie l'égalité et le travail d'équipe. Se levant tous les matins avant 5 heures, il fait preuve d'une endurance incroyable. Il peut être parti en Chine pendant trois jours pour un voyage d'affaires, rentré aux États-Unis à 7 heures et être au bureau une heure et demie plus tard pour interroger un collaborateur sur des chiffres précis.
Le fantôme de Jobs
Les employés d'Apple affichaient un certain optimisme à la prise de pouvoir de Tim Cook (lire : Tim Cook : l'état de grâce). Mais selon Yukari Iwatani Kane, ce n'était qu'un optimisme de façade. Apple peut-elle rester viable sans Steve Jobs, son leader charismatique et autoritaire ?
La grande différence entre les deux hommes, c'est que Cook est sans cesse remis en cause, dans ses choix et dans la direction qu'il prend. Steve Jobs, de par son histoire — il a cofondé Apple, en a été évincé, puis est revenu et l'a fait prospérer —, avait acquis un statut d'intouchable, quelque chose qui confine au divin. Le ralentissement de la croissance de l'iPhone peut semer le doute chez certains sur la capacité de Tim Cook à emmener Apple plus loin. Un doute accentué par le fantôme du Jobs innovateur qui a sorti l'iMac, l'iPod, l'iPhone et l'iPad. En attendant le nouveau produit promis par le nouveau CEO pour cette année — la fameuse iWatch ? —, les couacs (commercialisation de l'iMac fin-2012, Plans pas à la hauteur à sa sortie...) sont toujours commentés par des « ça ne serait pas arrivé avec Steve Jobs », « Steve Jobs n'aurait pas fait ça »... en bref, des « c'était mieux avant ».
L'Apple de Steve Jobs était monarchique. La conception et le développement de produit, la stratégie marketing, les réunions de direction… tout était arrangé au goût du cofondateur. Un des employés avait comme plaque d'immatriculation « WWSJD » pour « What Would Steve Jobs Do ? » (qu'est-ce que Steve Jobs ferait ?), une question que se posaient régulièrement les employés.
Lors de sa prise de pouvoir, Tim Cook a assuré aux employés qu'Apple resterait la même entreprise :
Je souhaite que vous soyez conscients qu'Apple ne va pas changer. Je chéris et loue les principes et valeurs uniques d'Apple. Steve a bâti une société et une culture qui sont sans pareilles dans le monde et nous y serons fidèles — c'est dans notre ADN. Nous allons continuer à faire les meilleurs produits du monde qui ravissent nos clients et rendent nos employés prodigieusement fiers de ce qu'ils font.
Apple reste la même, mais différemment. Tim Cook a modelé l'équipe dirigeante à sa convenance et a modifié la communication de l'entreprise (lire : Comment Tim Cook pose son empreinte sur Apple et La révolution culturelle de Tim Cook chez Apple). Après un Steve Jobs quasi divin, Tim Cook fait figure de « simple mortel ». Un retour sur Terre que Yukari Iwatani Kane semble vouloir prolonger en descente aux Enfers. À tort ou à raison ?