En achetant Motorola en mai 2012, Google avait espéré que l'épais catalogue de brevets du constructeur américain allait lui permettre de muscler son propre portfolio afin de faire face aux nombreuses actions en justice dont le créateur d'Android est l'objet — ce qui valait, à l'époque, l'investissement colossal de 12,5 milliards de dollars. De fait, non seulement le nouveau propriétaire a déposé des plaintes dans les juridictions du monde entier, mais il a continué à soutenir les poursuites en cours. C'était le cas en Europe, où Motorola s'est entêté dans la défense de quelques uns de ses brevets essentiels (FRAND) envers plusieurs concurrents, dont Microsoft et Apple.
L'an dernier, quasiment jour pour jour, la Commission européenne s'interrogeait très clairement sur l'abus de position dominante de Motorola suite à une demande d'injonction du constructeur en Allemagne (lire : Bruxelles sermone Motorola sur sa stratégie contre Apple). Cette sérieuse tape sur les doigts, qui faisait suite à deux enquêtes ouvertes en 2012 sur les agissements de Motorola, concernait Apple au premier chef : malgré la volonté affichée de la Pomme de régler des royalties sur les brevets Motorola, la filiale de Google ne respectait pas les conditions « équitables, raisonnables et non discriminatoires » (« Fair, Reasonable and Non-Discriminatory », FRAND) que ces licences impliquaient.
Une nouvelle décision de la Commission, tombée aujourd'hui et qui fait directement suite à ses réflexions de l'an dernier, exige de Motorola l'arrêt de ses poursuites en justice contre Apple; les deux entreprises devront s'arranger hors tribunaux. L'exécutif européen estime que Motorola « a abusé de sa position dominante, en violation des règles de concurrence de l’UE ». En revanche, s'il a été question d'une amende correspondant à 10% du chiffre d'affaires annuel du constructeur, la Commission a finalement décidé de ne rien infliger à Motorola pour une raison d'absence de jurisprudence claire des différentes juridictions de l'UE sur ce sujet. Il n'empêche : c'est une claque, une de plus, pour Motorola qui n'a rien obtenu de tangible malgré un activisme judiciaire des deux côtés de l'Atlantique (aux États-Unis, la plupart des procédures intentées par Motorola ont fait chou blanc, lire Un dossier classé entre Apple et Motorola refait surface).
Joaquín Almunia, commissaire chargé de la politique de concurrence, n'a pas mâché ses mots : « Ce qu'on nomme la guerre des brevets pour smartphones ne doit pas se dérouler aux dépens des consommateurs. C'est pourquoi tous les acteurs du secteur doivent respecter les règles de concurrence ». Il a également précisé :
Si les détenteurs de brevets doivent être justement rémunérés pour l'utilisation de leur propriété intellectuelle, ceux qui appliquent ces normes doivent aussi accéder aux technologies standardisées à des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires. C'est en préservant cet équilibre que les consommateurs continueront à avoir accès à un large éventail de produits interopérables.
Constatant peut-être l'absence de résultat de toutes ces démarches en justice, Google a cédé Motorola à Lenovo, pour la somme de 2,91 milliards de dollars. Par ailleurs, dans un dossier concernant là aussi des brevets essentiels mais cette fois liés à Samsung, la Commission a statué que le constructeur coréen ne devra pas chercher à obtenir d'injonction contre un de ses concurrents en Europe, si ces derniers « adhèrent à un cadre de concession de licences spécifique ». Les litiges pourront continuer à être tranchés par un arbitre ou un juge, mais Samsung ne pourra pas réclamer d'interdiction de vente sur le territoire européen. C'était là un des engagements pris par le groupe en septembre dernier auprès de Bruxelles pour éviter une éventuelle amende de 18,3 milliards de dollars, soit 10% de ses revenus de 2012 (lire : Bruxelles fait reculer Samsung en Europe).