Avant d'être une fonction d'enregistrement vidéo de l'iPhone 11, QuickTake était le nom de la gamme d'appareils photo numériques de la marque à la pomme. Quand elle présente son QuickTake 100 le 17 février 1994, dans un monde qui ne connaît que la photo argentique, Apple ne sait peut-être pas encore que dix ans plus tard ses héritiers représenteront plus de 90 % des ventes d'appareil photo.
Il faut un instant nous replonger dans le contexte de l'époque. La gamme Power Macintosh vient de sortir, avec ses processeurs à 60, 66 et 80 MHz. Les Quadra, Centris, LC et Performa de toutes sortes représentent maintenant l'entrée de gamme de la marque. Le Newton (à 6000 F) et le PowerCD (à 2000 F) peinent à trouver leur clientèle, l'AppleDjinn permet de se connecter à internet à 2400 bauds, mais aussi d'envoyer des fax et de consulter le Minitel depuis son Mac, et Apple propose toujours toute une gamme d'imprimantes, d'écrans et de scanners. Bref, dans un tel catalogue, on n'est pas à une drôle d'idée près.
Et rejoindre les précurseurs de la photo numérique est justement une drôle d'idée. Canon, par exemple, propose des appareils « quasi-numériques » depuis plusieurs années, capables d'enregistrer des images sur une disquette magnétique (une idée développée à l'origine par Sony pour son prototype Mavica). Toshiba propose son IMC-100, depuis 1989. Mais il le facture 20 000 $ avec son lecteur externe de carte mémoire !
Ces appareils sont dérivés des caméscopes Hi8 et tout leur génie consiste à embarquer dans un volume réduit une technologie capable de fixer sur une disquette l'image capturée par le capteur CCD. Ce qui était assez simple pour un caméscope (travaillant en temps réel sur une bande défilant en permanence) devient plus compliqué quand il s'agit de capturer une image fixe avant de l'enregistrer sur un support.
Ces modèles ancestraux n'avaient pas encore vraiment basculé dans l'ère de la photographie numérique : ils étaient encore qualifiés de « still video » (vidéo fixe) et leur fonction principale était d'afficher l'image sur un poste de télévision.
Fidèle à sa tradition, Apple s'attaque à un marché balbutiant et imagine un produit destiné au grand public. Pour cela, elle se rapproche de Kodak, un pionnier de l'image numérique, qui lui fournit le capteur et les puces qui le pilotent. Apple y apporte sa touche habituelle : un seul modèle, sans option, opérationnel dès que le cache-objectif est glissé sur le côté.
Plus de disquette magnétique : les images sont enregistrées sur une mémoire interne dont on n'a pas à se soucier. Apple inclut un logiciel, Photoflash, dédié au Mac, pour récupérer et retoucher les clichés et un simple câble série, celui qui sert au réseau AppleTalk, aux modems et aux imprimantes. Le tout, dans un carton qui respire la simplicité et la confiance. Et voici ce qu'en disait le magazine PC World au moment de sa sortie :
Ce n'est sûrement plus qu'une question de temps, avant que les appareils numériques remplacent les appareils argentiques. Mais ne jetez pas tout de suite votre Nikon. Un petit appareil 35-mm peu coûteux produit encore les meilleures images en terme de qualité, de résolution et de couleur.
Le magazine considérait que le QuickTake, parmi les premiers appareils photo numériques couleurs à moins de 1000 $, était tout désigné pour quelques catégories de professionnels : les assureurs qui photographient les dommages de leurs clients, les gestionnaires RH qui créent des trombinoscopes et les créateurs de présentations professionnelles. Mais pas les photographes professionnels, les vrais, ni même les simples photographes du dimanche :
Même à la meilleure résolution (640 x 480 pixels), les détails et les couleurs des images QuickTake nous rappellent celles d'un Polaroïd. Elles sont souvent un peu floues, avec les couleurs qui bavent. Rien à voir avec la production d'un appareil réflex de la même gamme de prix.
Il faut dire qu'avec ce premier modèle, Apple avait finalement visé l'entrée de gamme de la photographie numérique. Au début des années 1990, il n'y avait guère que deux manières d'attaquer ce marché. Par le haut, comme avec le système DCS de Kodak, basé sur un Nikon F3 doublé d'un enregistreur externe (comptez 20 000 $), ou Nikon lui-même et son F4 modifié pour la Nasa : un réflex argentique adossé à un capteur de 1024 x 1024 et un disque dur embarqué (et celui-là, il n'a pas de prix). À l'autre extrémité, on trouvait donc la vision d'Apple, Logitech, Fuji ou Toshiba, tout en légèreté et en simplicité, à un prix plus mesuré.
Nous aurons l'occasion de découvrir prochainement que la version officielle de l'histoire, qui fait état d'un partenariat idéal entre Kodak et Apple, cache en réalité une histoire bien plus tumultueuse…