Ashley Gjøvik n'en a pas terminé avec Apple. Licenciée en septembre 2021 pour avoir divulgué des informations confidentielles alors qu'elle était en conflit ouvert avec sa hiérarchie, cette ancienne responsable dans l'ingénierie persiste et signe : la culture d'entreprise d'Apple est toxique, selon elle.
Télérama est revenu sur son histoire au sein d'Apple ainsi que sur une partie de ses accusations. L'affaire personnelle d'Ashley Gjøvik est pour le moins complexe : s'entremêlent des dénonciations de sexisme, de harcèlement et d'insalubrité qui auraient eu cours sur plusieurs années dans la Silicon Valley. Apple lui a proposé un arrêt maladie et la participation à un programme d'aide à un moment, mais cette réponse ne l'a pas satisfaite.
« Je n’ai jamais réussi à vraiment m’intégrer, ça m’a facilité la tâche au moment de tout brûler », déclare l'ancienne employée d'Apple au magazine français. Car Ashley Gjøvik a décidé au fil du temps de devenir le porte-voix d'autres revendications avec le mouvement #AppleToo et de déballer sur la place publique problèmes personnels et pratiques litigieuses répandues. « Je suis devenue révolutionnaire quand j’ai compris qu’ils se fichaient de savoir que nous pouvions mourir », raconte-t-elle aujourd'hui à Télérama, alors qu'elle mène une bataille contre Apple sur tous les fronts.
Fin août 2021, tandis qu'elle fait encore partie de la société, elle révèle notamment l'existence d'un programme nommé Gobbler (rebaptisé plus tard Glimmer) lié à Face ID. Lancé en 2017 en interne, ce programme sert à entraîner la technologie de reconnaissance faciale qui fait ses débuts la même année sur iPhone X. Installée sur les iPhone des employés, l'application Gobbler les prend en photo dès qu'elle détecte leur visage.
Ashley Gjøvik refuse de participer au programme (qui n'est pas déployé en France pour une question réglementaire), mais Apple l'invite un jour à un « apéro de collecte de données ». L'employée se retrouve alors dans un lieu ultra sécurisé où elle est finalement prise en photo, avec obligation de garder le silence sur l'opération.
D'après les dires de la dissidente et des documents confidentiels, ce genre d'expérimentation est monnaie courante : « scan des conduits auditifs pour optimiser l’ergonomie des AirPods, mesure du sommeil, pression artérielle et même surveillance du cycle menstruel », liste Télérama. Ces programmes n'étonneront pas forcément les connaisseurs : Apple a déclaré par le passé avoir constitué une grande base de données d'oreilles et a ouvert les portes de sa salle où sont mesurées les performances de sportifs pour l'Apple Watch, entre autres.
Reste que plus Apple s'occupe de la santé de ses clients, plus elle entre dans l'intimité de ses employés. D'après le magazine, l'entreprise a proposé en 2019 à une employée d'utiliser un kit pour mesurer la qualité des glaires cervicales de son utérus en échange de 10 dollars. Celle-ci a accepté par crainte des conséquences d'un refus. « Vous ne devez avoir aucune attente en matière de vie privée lorsque vous utilisez vos appareils personnels ou ceux de quelqu’un d’autre à des fins professionnelles, lorsque vous utilisez les systèmes ou les réseaux d’Apple, ou lorsque vous vous trouvez dans les locaux d’Apple », indique la politique interne de l'entreprise.
C'est ce paradoxe entre le discours d'Apple en faveur de la protection de la vie privée de ses clients et ses programmes opaques et indiscrets que Thomas Le Bonniec dénonce également. Ce Français avait révélé en 2019 que des oreilles humaines écoutaient des enregistrements de Siri, une pratique tenue secrète par Apple. « Avec son témoignage — et le mien —, un rappel qu'Apple contraint ses salariés et manipule ses usagers pour extraire le maximum d'informations, transformées en données et remâchées à des fins opaques », déclare Thomas Le Bonniec dans un billet de blog en réaction à l'article sur Ashley Gjøvik.
Des choses pourraient changer en interne. En début d'année, l'inspection du travail américaine a jugé que la culture du secret d'Apple allait trop loin pour ses employés. L'agence fédérale, qui pourrait intenter un procès à l'entreprise si aucun accord n'est trouvé, vise notamment un mémo de Tim Cook dans lequel le CEO prévenait que « les personnes qui font fuiter des informations confidentielles n'ont pas leur place ici. » Un mémo qui s'adressait en particulier aux membres du mouvement #AppleToo.