Depuis le 2 novembre 2021, et pour la première fois depuis 18 ans, Gilles Auréjac ne dirige plus un Centre de services agréé Apple (CSAA). Il n’a pas fermé : ce bidouilleur dans l’âme a décidé de renoncer à l’agrément officiel pour retrouver la liberté d’intervenir sur les produits d’Apple comme il l’entend. Débarrassé des règles d’Apple, son métier de réparateur peut retrouver de son sel et de son intérêt.
Se priver de ce label dont profitent quelques 5 000 centres dans le monde, même avec les contraintes qu’il occasionne, suppose toutefois qu’il sera plus difficile d’obtenir des pièces de rechange et des informations sur les nouveaux matériels. Dans les faits, ce n’est pas forcément si compliqué et surtout, son équipe peut ouvrir l’éventail des interventions possibles.
Comment en vient-on à renoncer au précieux agrément Apple et quelles en sont les conséquences pour maintenir son activité ? C’est ce que nous avons voulu comprendre avec ce cas particulier.
- Ces échanges se sont déroulés quelques semaines avant l’annonce par Apple de son programme de Self Service Repair à destination des particuliers.
Si vous avez cherché un jour des informations pointues pour améliorer matériellement un Mac, vous avez probablement déjà croisé le nom de Gilles Auréjac sur Twitter. Depuis des dizaines d’années, il propose de l’aide pour mettre à jour un Mac, changer la RAM, installer un SSD… Au quotidien, Gilles gère Polysoft.
Situé à Tours, Polysoft existe depuis 2003, et même 1982 avec les anciens propriétaires. Son fonds de commerce est la réparation des produits de la marque à la pomme : il ne s’agit pas d’un service proposé en plus de la vente d’un matériel, comme dans certains cas. C’est un point important : la survie d’un CSAA dépend des réparations, elle ne peut pas être compensée par la commercialisation d’iPhone, de Mac ou d’iPad.
Malheureusement, on s’en doute aisément, la politique d’Apple depuis des années vis-à-vis du SAV a rendu ce métier de plus en plus compliqué à exercer. Tout particulièrement dans le monde des Mac où les évolutions du matériel amènent à un constat assez simple : les modifications deviennent très périlleuses… quand elles sont possibles.
De la réparation au simple démontage
« Au fil des années, Apple a transformé le métier de technicien agréé. On n’est plus réparateur, mais, au mieux, monteur de pièces », constate Gilles Auréjac, qui déplore une évolution vers de moins en moins d’interventions techniques ou alors superficielles : « la majeure partie du temps on est contrôleur de conformité, on oppose des refus quand les choses ne sont pas dans les clous, on fait la guerre aux réparateurs indépendants, on refuse les upgrades et, par la force des choses, on pousse à acheter du neuf. »
Côté pile, Apple fait de très bons produits et très désirables, il en convient lui-même, mais côté face il répugne à participer à ce qu’il qualifie de « violente guerre contre la réparation. » Sans qu’on sache trop vers qui pointer le doigt, et si c’est volontaire ou non, « Apple a laissé ses ingénieurs concevoir des machines difficilement réparables, totalement fermées à l’upgrade ou même à toute réparation en dehors des SAV Apple, et encore, pendant la période où la machine est prise en charge. »
Remontons de (nombreuses) années en arrière et prenons quelques exemples pour mieux comprendre l’évolution du secteur. À une époque, Apple proposait pas mal de solutions de mise à jour et pouvait même, dans certains cas, encourager les modifications. Sur les premiers Macintosh, dans les années 1980, la société vendait des cartes-mères en kit pour remplacer celle de votre Mac. Vous aviez un Macintosh 512K ? Il était possible de le transformer en Macintosh Plus assez facilement… et officiellement.
Votre Power Mac avait besoin de stockage ? Pas de soucis, vous pouviez acheter un disque dur. Pas assez de mémoire ? La carte-mère proposait évidemment des emplacements pour en ajouter. La marque développait même des solutions d’upgrade pour passer par exemple d’un processeur de la famille 68000 à un PowerPC beaucoup plus puissant.
Mais au fil du temps, ces opportunités ont disparu au fur et à mesure de l’évolution de choix techniques d’Apple. En 2021, le seul Mac vaguement modifiable reste le Mac Pro : vous pouvez faire évoluer la RAM et éventuellement installer un disque supplémentaire ou des SSD. Dans la majorité des autres (en dehors de certains iMac), la mémoire vive est soudée tout comme le stockage.
Si l’on devait placer un point de rupture sur cette frise chronologique, ce serait vers 2008, avec le premier MacBook Air. Il inaugure la mémoire soudée sans possibilités d’extension, couplée à du stockage semi-propriétaire récupéré des iPod. Ce n’était toutefois qu’un avant-gout, les problèmes pour les amateurs et les professionnels de l’upgrade matériel ont vraiment commencé avec la sortie des MacBook Pro 2016. Leur conception rendait impossible une majorité de réparations jusque-là assez simples. Sur cette gamme, la mémoire restait évidemment soudée à la carte-mère, mais le stockage suivait la même voie. Et pour un technicien, c’est un réel obstacle.
Comment expliquer à un client que ce qui pourrait n’être qu’un problème anodin à réparer va en réalité lui couter une somme rondelette ? Votre superbe MacBook Pro n’a qu’un simple problème de mémoire, mais la seule réponse d’un centre de services agréés Apple sera : « il faut changer la carte-mère et ça va faire 600 € ». On vous demandera aussi si vous avez désactivé votre compte iCloud et si vous avez sauvegardé vos données, puisqu’elles seront probablement perdues. Ce n’est pas nécessairement évident, mais si la machine ne démarre pas, Apple n’a pas réellement de solutions pour récupérer les données.
« On peut comprendre les consignes sur iCloud, probablement utiles pour éviter qu’un utilisateur illégitime ne vienne faire réparer un appareil qui ne lui appartient pas, mais on n’est pas payés pour faire ce contrôle ! » De son point de vue, tout cela ne sert qu’à préserver la marge d’Apple au lieu de répondre à des impératifs techniques.
La réaction la plus évidente à l’annonce du prix de la réparation va être sans nul doute une exclamation : « c’est un peu cher ! » Surtout lorsque le technicien ajoute qu’il devra commander une carte-mère de remplacement, ce qui peut prendre du temps. En parallèle, il n’est pas rare que cette question fuse : « j’avais acheté mon Mac avec 8 Go de RAM, ce serait possible d’en profiter pour passer à 16 Go ? ». La réponse sera forcément négative.
Ce genre de situation résulte de la rigidité d’Apple sur certains points, mais aussi des règles appliquées aux CSAA. Elles expliquent pourquoi Gilles Auréjac s’est résolu à abandonner cette certification. Et à contrecœur. Car à ces choix d’Apple répondent des solutions… mais qui sont interdites aux techniciens agréés. Même le réseau de réparateurs indépendants vers qui Apple s’est ouverte depuis trois ans est très encadré dans ce qu’il a le droit de faire.
Apple a un contrat assez contraignant pour les nouveaux réparateurs indépendants.
Malgré une idée reçue, changer de la mémoire soudée n’est pas impossible, du moins jusqu’aux puces Apple Silicon, et les techniciens de Polysoft savent le faire. Si une puce de mémoire est défectueuse, elle peut être identifiée avec un logiciel comme Memtest, dessoudée et remplacée. Il faut évidemment se procurer les bons composants et le travail requis demande un peu plus d’investissement technique et de dextérité que pour intervertir deux cartes-mères en suivant un guide… Mais en contrepartie la facture est moins salée !
Typiquement, au lieu d’un changement de carte-mère proposé à plusieurs centaines d’euros, le client peut s’en tirer pour 200 à 250 € en cas de gros soucis, et généralement moins si une seule puce est défectueuse ou si la capacité d’origine de la RAM est faible. Pourquoi alors ne pas le faire systématiquement ? Parce qu’Apple l’interdit.
Dans la même veine, il est parfaitement envisageable d’augmenter la quantité de mémoire dans un vieux MacBook Air. Des schémas techniques, qu’il faut récupérer par des moyens détournés puisqu’Apple ne les fournit pas aux réparateurs, montrent que les machines en question ont été pensées pour accepter 16 Go. Apple n’a jamais commercialisé cette option.
La variante de cette machine avec la mémoire soudée amène d’autres problèmes, plus insidieux. Du temps des premiers Mac Intel ou des PowerBook, Polysoft pouvait commander des cartes-mères de réserve pour offrir rapidement une réparation à un client. Apple facturait la carte en question un peu plus que lors d’un échange direct, mais au moins elle pouvait servir dans n’importe quel Mac (ou presque).
Cette solution avantageuse pour le client n’est plus d’actualité. D’abord parce qu’il existe des dizaines de références pour certains modèles. On peut l’illustrer avec une machine relativement récente : le MacBook Pro 16" 2019. Si vous allez sur la page technique de la machine, vous verrez qu’il peut être livré avec trois processeurs différents (Core i7 ou i9), trois dotations de mémoire (16, 32 et 64 Go), quatre variantes de carte graphique (Radeon Pro 5300M, 5500 M 4 Go, 5500 M 8 Go, 5600 M 8 Go) et cinq quantités de stockage (512 Go, 1/2/4 et 8 To). Même en considérant que quelques unes de ces combinaisons n’existent pas, il y a probablement plus de 150 moutures possibles de la carte-mère.
Ensuite parce qu’Apple ne permet tout simplement pas d’installer une configuration différente de celle de départ. Tant pis pour le client qui voulait profiter d’un remplacement de mémoire défecteuse pour en augmenter la capacité. Vous avez un Mac mini M1 avec 8 Go de mémoire et de l’Ethernet à 1 Gb/s ? Vous ne pouvez pas commander la carte-mère avec 16 Go ou de l’Ethernet 10 Gb/s. Même lors d’une réparation, la carte de remplacement doit avoir les bons composants pour être activée.
Sur un Mac portable, le bloc-écran peut être remplacé dans un centre agréé, tout comme une carte-mère, mais c’est à peu près tout. Et parfois, la logique de la marque semble un peu… illogique. Sur un MacBook Pro de 2017 par exemple, un changement de clavier pour une touche bloquée va être facturé plusieurs centaines d’euros, car il est riveté au boitier.
La batterie des nouveaux MacBook Pro peut à nouveau être remplacée facilement.
Par contre, un changement de batterie ne dépassera pas 210 €. On ne le sait peut-être pas, mais Apple remplace dans les deux cas les mêmes pièces, soit le clavier riveté… et la batterie collée. Comme Gilles nous l’a expliqué, il est pourtant possible de changer le clavier sans toucher à la batterie. La manipulation est fastidieuse et longue, mais la facture n’est pas la même pour le client.
Et revenons au cas de la mémoire vive défectueuse, et plus spécifiquement sur la sauvegarde des données : en réalité, il existe des solutions, qu’Apple ne permet évidemment pas. Dans certains cas, on peut lire les informations présentes dans le SSD en déplaçant physiquement les composants d’une carte-mère vers une autre, en prenant soin de conserver la puce T2 qui joue le rôle de contrôleur. Il y aurait d’autres exemples, mais il faut juste comprendre qu’un technicien compétent pourrait effectuer beaucoup de réparations qui au lieu de cela se soldent généralement par un changement complet de machine, du fait d’un cout élevé. Un cout imputable en réalité aux choix techniques d’Apple.
Un autre motif de lassitude réside dans la nature du travail à effectuer dès lors qu’on est tenu de suivre les procédures d’Apple. Les réparations qui entrent dans le cadre de ce qui est autorisé par Apple sont devenues assez simples. Le métier n’est pas réellement passionnant pour un technicien dont une partie de l’activité, qui plus est, va consister à faire de l’administratif au niveau du SAV. La marque étant assez pointilleuse sur le suivi des modifications et des composants.
Moins de mains dans le cambouis et plus de temps consacré à la paperasse. La partie administrative d’un dossier de réparation est devenue chronophage, déplore Gilles Auréjac en listant les étapes indispensables d’une intervention type :
- accueillir le client et lui faire enlever les protections iCloud en amont de la réparation ;
- faire la batterie de tests de conformité d’entrée ;
- scanner les numéros de série de la pièce qu’on enlève et de celle qu’on met à la place ;
- effectuer les étalonnages et les restaurations nécessaires pour que le système « accepte » les nouvelles pièces ;
- clôturer les dossiers, et retourner les pièces défectueuses par avion à Apple, qui va les contrôler puis les mettre au broyeur.
Tout n’est pas uniforme et il y a toujours des exceptions, mais assez circonscrites. Comme celle toute récente sur les MacBook Pro 2021, où le retrait d’une batterie devient un peu plus simple : « au lieu d’être fixée à la colle, la batterie est maintenue avec un adhésif ». On a observé également une révision de procédure à propos de Face ID et des iPhone 13 qui avait fait quelques vagues car défavorables aux réparateurs tiers.
iPhone 13 : Apple recule sur la désactivation de Face ID après un changement d’écran
Il n’empêche, d’une manière générale, peu est fait pour donner une chance à la réparation : « Apple peut se gargariser d’écologie, c’est tout à leur honneur, mais dans le même temps, sur le terrain, en réparation, jusqu’à l’entrée en guerre d’Apple contre les pièces compatibles (dont je situe les débuts vers 2015/2016) on ne refusait pas les anciennes machines, au contraire : on pouvait proposer des services et les maintenir en vie ». Économiquement le client et le réparateur s’y retrouvaient, écologiquement c’était sensé, « mais ça ne rapportait pas d’argent à Apple ».
Les pièces soudées ont rendu plus complexes les interventions — du moins celles qui ne sont pas homologuées par Apple — mais les pièces amovibles sont entourées de DRM logicielles qui compliquent pour elles aussi la situation : « en tant que technicien agréé on ne peut plus rien proposer. Ils sont devenus hyper paranos et il faut être fou pour vouloir réparer ces machines, mais des fournisseurs chinois trouvent toujours des solutions, des outils qui forcent l’admiration […] C’est fou de voir l’adaptation et l’ingéniosité des petits réparateurs : ce sont eux qui pourront réparer les machines de plus de six ans. Ce sont eux qui pourront réactiver des machines quand les serveurs d’activation d’Apple ou les OS refuseront l’activation… ».
Outre d’en appeler à une législation qui pousse, comme dans les métiers de l’automobile, à légaliser, régulariser le marché de la pièce d’occasion afin de prolonger l’usage d’une machine plutôt que d’en acheter une neuve, Gilles Auréjac voudrait qu’Apple encourage et aide les réparateurs à opérer sur d’anciens matériels : « il faudrait donner les schémas, ne pas interdire les pièces compatibles, donner accès à l’achat de composants et former les techniciens — ceux qui le veulent — à la réparation des machines de plus de six ans [NDLR : la durée après laquelle elles ne sont plus éligibles à un SAV officiel]. C’est dingue qu’Apple mette plus d’argent et d’énergie à combattre les réparateurs qu’à faire ça. C’est dingue que des petits réparateurs aient "par accident" des procédures de réparation plus économes en ressources et écologiques que celles d’Apple ».
De son point de vue, il est plus vertueux, écologiquement parlant, d’en appeler à l’expertise des techniciens pour changer un petit composant défectueux sur une carte-mère plutôt qu’en faire venir une nouvelle par avion et déclarer la machine en panne comme irréparable. Pourquoi aussi ne pas remplacer le stockage d’un iPad plutôt que de changer toute la tablette ? « Ça parait évident, mais pas pour Apple », qui ne propose aucune pièce de rechange pour l’iPad.
Que deviennent d’ailleurs les pièces et appareils défectueux pris en charge par les centres agréés ? La réponse n’est pas très claire. Apple exige le renvoi des appareils en panne pour des raisons évidentes de contrôle de conformité, mais les AirPods, Apple Watch, iPhone et iPad renvoyés aux clients après SAV par Apple sont toujours neufs. Où passent les produits en question ? Pas sur le refurb, Apple ne propose jamais d’AirPods reconditionnés et, depuis cet été, Apple a soudainement supprimé en France l’offre en iPhone et iPad, qui était maigre et datée.
Le refurb tire un trait sur les iPhone et iPad
Quelques Mac y sont présents, mais les volumes n’ont rien à avoir avec ce qui circule en réparation. Et pour ces derniers, s’il est possible de voir des cartes-mères réparées par Apple dans le circuit, ce n’est pas le cas des autres composants. Les blocs-écrans (incluant les charnières, nappes et capots) ou les top case (qui contiennent les hautparleurs, le clavier et la batterie) sont toujours remplacés à neuf.
Pour terminer, comme pour les Mac, des réparations et des mises à jour sont pourtant envisageables sur les appareils iOS. Polysoft sait techniquement comment augmenter le stockage sur ces produits mobiles… mais n’a pas le droit contractuellement de le faire.
Comment réparer sans agrément Apple
Apple fait de réels efforts sur l’environnement, admet-il volontiers, mais en parallèle il observe des décisions absurdes ou contreproductives. Comme lorsqu’on lui a imposé une refonte de la décoration de son centre pour plusieurs milliers d’euros alors qu’il avait investi dans des matériaux écologiques et durables.
Une fois qu’on tire un trait sur son agrément Apple afin de retrouver une liberté opérationnelle dans son activité, comment fait-on pour obtenir les pièces, les schémas techniques ? Et ne risque-t-on pas de perdre une bonne part de sa clientèle ? En somme, comment devient-on un ex-centre de services Apple ?
De ces échanges avec Gilles Auréjac, il ressort que son choix est murement réfléchi et trouve ses prémices avec les MacBook Pro de 2016, lorsque s’est fortement resserré ce verrou sur les possibilités de réparation. Il faut bien insister sur ce point : c’est une décision contrainte. Idéalement, Polysoft et son équipe préféreraient travailler avec Apple, mais en disposant d’une latitude pour adapter quelques unes des procédures à la réalité du terrain.
D’un côté, l’abandon de l’agrément Apple fait peser le risque évident d’une perte de clientèle, celle amenée par Apple au travers de son SAV. De l’autre, il va permettre de proposer des prestations intéressantes sur les plans technique et financier, mais qui étaient jusque-là proscrites par la marque.
Qui plus est, le cas de ce centre est particulier dans le sens ou son activité principale est la réparation et la mise à jour — c’est important de le répéter. D’autres entreprises, qui couplent la vente avec le service après-vente, souffriront moins du problème. En effet, un client qui refuse un devis à 600 € pour un changement de carte-mère reste susceptible de se tourner vers une machine neuve, vendue au prix fort. Les plus cyniques diront que c’est peut-être même l’idée qu’Apple a derrière la tête.
Une fois l’étiquette de l’agrément Apple retirée, le choix d’un fournisseur de pièces de rechange implique, on s’en doute, une solide expérience construite sur la durée et sur la pratique. « Aucun importateur ne couvre tout le spectre des pièces et composants », précise Gilles Auréjac. On parle d’écrans, de batteries, de composants électroniques génériques (condensateurs, résistances) ou plus spécifiques (mémoire, puces Wi-Fi, processeur…) de connecteurs, ou encore de capots.
Dans chacune des catégories citées il y a plusieurs niveaux de qualité et de fiabilité dans les pièces et les distributeurs. On trouvera de l’occasion avec la qualité d’une pièce originale, du neuf en pièces d’origine (surtout pour les composants électroniques génériques), du neuf compatible et dont la qualité est équivalente à celle de l’original. Sans oublier du neuf compatible mais dont la qualité est franchement inférieure — avec un prix divisé par dix ! — surtout dans le domaine des écrans.
Là encore Gilles Auréjac fait le vœu d'une forme de régulation du marché des pièces détachées avec des contrôles à la clé, car il y a de vraies opportunités : « il faut savoir que pour les cartes-mères, 90 % d’entre elles sont réparables avec moins de 10 € de composants… ».
Cet approvisionnement peut devenir le nerf de la guerre, en particulier sur les machines récentes — heureusement moins susceptibles d’aller en SAV et qui sont encore couvertes par la garantie. « Les pièces "compatibles" n’arrivent sur le marché que six mois après la sortie d’un produit, un an pour les pièces d’origines destinées aux iPhone. Par contre, pour les Mac, certaines pièces ne circulent jamais, ce sera le cas par exemple des dalles 5K des iMac 27". C’est réellement dommage ».
Plusieurs sources d’approvisionnement existent pour obtenir qui une batterie, qui un écran, qui un clavier compatible… Certaines sont réservées aux professionnels, d’autres vendent à tout le monde. Il y a les grossistes qui fabriquent également leurs propres pièces. Des « Norauto de la pièce détachée informatique », pour prendre une image, comme Deviceparts, Rewa, ou encore Elekworld. Parmi les grossistes, Mobilecentrix et iFixit sont cités, sans oublier des importateurs tels que Smargrade, Yooshop ou Esimport.
En plus de s’approvisionner en pièces de rechange hors du circuit officiel d’Apple, il faut disposer de la documentation technique. Changer une batterie c’est une chose, remplacer un composant soudé est autre une paire de manches. Cette recherche d’informations est une épreuve, mais pas forcément moindre que lorsqu’on est agréé.
La littérature technique d’Apple distribuée aux réparateurs officiels reste à la surface des choses. Elle sera utile pour démonter un appareil — mais comme les guides iFixit — vérifier que la panne n’est pas le résutat d’une mauvaise utilisation du propriétaire, mais elle n’explore pas les profondeurs d’une carte-mère.
Plus aucune documentation officielle donc, mais de la documentation quand même : « dans le milieu des SAV informels, on trouve à peu près tout, comme les schémas des cartes-mères (tous, exceptés les Mac mini, iMac et Mac Pro qui n’intéressent personne) et des guides de réparation (papier !) ou des tutos hyper bien faits ». Autrement dit, les indépendants disposent d’une source d’informations plus riche que leurs homologues assermentés par Apple !
On peut diviser la documentation technique utile aux réparateurs — qu’il soient agréés ou pas — en trois catégories. Il y a les ressources officielles d’Apple qui détaillent le démontage et le remontage des appareils ainsi que le remplacement des pièces et la vérification de leur conformité. Le parcours est bien balisé, mais jamais ne sont abordées des interventions sur l’électronique.
Pour opérer à ce niveau, beaucoup plus poussé, il faut se tourner vers les schémas électroniques. Autant une documentation de démontage sera lisible et compréhensible par tout un chacun, autant celle-ci élève les compétences requises à tout autre niveau. Ces documents d’Apple ne sont jamais transmis aux réparateurs, même ceux du réseau. Les sous-traitants de la marque qui fabriquent ses produits y ont accès en revanche. Forcément, des fuites font que ces plans se retrouvent dans la nature.
Et puis il y a ce qu’on appelle les boardviews. Il s’agit de plans de repère qui explicitent l’implantation des composants sur une carte-mère, où il est parfois compliqué de se repérer et savoir quoi fait quoi et à quel endroit. D’abord parce qu’un circuit imprimé peut être composé de plusieurs couches. Une rétro-ingénierie est toujours envisageable, mais fastidieuse. Il arrive qu’il faille littéralement poncer une carte-mère, et la sacrifier par la même occasion, pour faire apparaitre ces différents niveaux de composants.
Ensuite parce qu’il est devenu courant que les éléments électroniques ne soient plus identifiés par une sérigraphie avec leur nom, référence ou fabricant. On utilise alors des logiciels spécialisés tels que OpenBoardview ou FlexBV qui vont partir d’un plan de carte-mère et lui surimposer les informations des composants, puisées dans une base de données. C’est seulement une fois qu’on est armé de ces plans et détails que l’on peut espérer réparer des produits Apple en allant bien au-delà du remplacement à la chaine de batteries ou d’écrans.
Une nouvelle clientèle
Enfin, abandonner son agrément Apple c’est courir le risque de se couper d’une partie de sa clientèle qui cherche précisément cette assurance. Une moitié d’entre elle pourrait être perdue, estime Gilles Auréjac qui relativise aussitôt : « ce n’est pas la moitié que j’ai le plus de peine à perdre : ces clients ont des machines neuves, sous garantie ». Selon l’ancienneté de son appareil on ne s’adressera pas au même type de SAV : « même si ce n’est pas gratuit, il vaut mieux mettre une pièce d’origine sur une machine qui a moins de deux ou trois ans, sinon on lui fait perdre de sa valeur ».
Et puis il y a les machines plus anciennes et pour lesquelles la note d’Apple peut s’avérer corsée : « ça comprend en gros les iPad, dès que la réparation ne passe plus sous garantie ; les iPhone dès qu’ils ont plus de deux ans, les Mac dès qu’ils ont plus de deux ans ou qu’ils ont un problème "simple", mais indémontable chez Apple, comme avec les claviers ».
Apple a récemment annoncé que les particuliers auraient les coudées plus franches pour réparer leur matériel, mais encore faut-il s’en sentir capable. Pour Gilles, l’écrasante majorité des utilisateurs va continuer de se tourner vers des spécialistes de la réparation, même lorsque le matériel ne sera plus sous la garantie d’Apple. C’est sur cette catégorie de clients que Gilles Auréjac compte désormais : « je sais qu’il y a un énorme besoin pour un service de réparation voire de mise à jour matérielle — y compris en sous-traitance pour des SAV qui restent "agréés", mais qui n’ont pas le droit de les effectuer… »
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