Avec sa dernière mise à jour majeure, Audirvana Plus se place au carrefour des évolutions de l’industrie musicale. Le logiciel prend désormais en charge le MQA, le nouveau format qui passionne les foules audiophiles, et intègre toujours mieux les services de streaming « haute fidélité », au moment même où Spotify teste une nouvelle formule lossless. Alors que ces évolutions sont complexes et parfois contraires, il était grand temps de poser quelques questions à Damien Plisson, le développeur mélomane d’Audirvana Plus.
Le MQA, « mauvais pour la musique » ?
Créé par le fabricant anglais Meridian Audio, le MQA n’est pas qu’un nouveau codec, mais une chaîne complète de production. Une chaîne qui commence avec le master, la source originale de l’enregistrement audio, dont la traçabilité doit être dûment assurée. Cette démarche est centrale : MQA signifie « qualité master authentifiée ».
Dans le meilleur des cas, l’encodage est réalisé immédiatement après l’enregistrement, ou à partir du master ou d’une copie certifiée dans le cas d’un ancien enregistrement. Le résultat doit être validé par l’artiste ou ses représentants, l’ingénieur du son, ou bien le producteur, pour recevoir l’estampille « MQA Studio ».
À la lecture d’un fichier MQA Studio, les dispositifs compatibles affichent un témoin bleu, qui signale « que le son que vous entendez correspond parfaitement à ce qui a été joué dans le studio lors de l’enregistrement ». S’il n’a pas été validé, ou qu’il provient d’une source à l’origine douteuse, le fichier doit se contenter de l’appellation « MQA » et d’un témoin vert.
« MQA tient vraiment à ce que le son enregistré soit le son entendu », explique Damien Plisson, « et craint que les fichiers soient modifiés et le son dégradé ». De la station d’encodage au studio d’enregistrement jusqu’au lecteur certifié dans votre salon, chaque maillon de la chaîne MQA est donc strictement contrôlé. Or « la communication de MQA a été mauvaise au début » indique le développeur d’Audirvana Plus, « ils ne voulaient rien expliquer. »
Le spectre du retour des verrous numériques, avec l’appui du Warner Music Group, n’est pas allé sans provoquer des remous dans la communauté audiophile. « MQA est mauvais pour la musique », dit ainsi le responsable marketing de Linn, « c’est une tentative de prise de contrôle de la chaîne de fournisseurs ». C’est que de la station d’encodage au studio d’enregistrement jusqu’au lecteur certifié dans votre salon, chaque maillon de la chaîne MQA est soumis au paiement de royalties.
Comme Schiit et d’autres fabricants de composants hi-fi, Linn refuse donc de prendre en charge MQA. Les plus narquois rappellent que le dernier codec mis au point par Meridian Audio, le Meridian Lossless Packing, n’a pas sauvé le DVD-Audio. D’autres plus pragmatiques ont « attendu de voir », comme le dit et l’a fait Damien Plisson, et ont vu plusieurs boutiques spécialisées (HighResAudio, 2L, Onkyo Music) et services de streaming (Tidal) adopter le MQA.
Le MQA, un « origami musical »
Surtout, les créateurs du MQA se sont mis à communiquer de manière plus assurée. Sans revenir sur le modèle économique du système, ils se sont prêté au jeu des conférences et des sessions d’écoutes, et publié des explications détaillées reposant sur des piliers techniques solides, une approche assez rafraîchissante dans un domaine où l’audiophile est souvent pris pour un idiophile.
La prise en charge de MQA impose toujours de « payer une licence », comme le dit pudiquement le développeur d’Audirvana Plus, et passe par l’intégration d’un « binaire compilé ». Seule cette boîte noire aux secrets jalousement gardés est capable de déplier l’« origami musical » des fichiers MQA, pour reprendre les mots de Bob Stuart, le cofondateur de Meridian Audio.
Sans entrer dans des détails techniques qui dépassent largement le cadre de cette introduction, disons que l’astuce consiste à stocker des données sous le niveau de bruit de fond. Les données de différentes bandes de fréquences d’une source de haute résolution sont successivement « pliées », c’est-à-dire compressées et placées là où ne réside que du bruit. Le pliage s’arrête lorsque l’encodeur atteint 44,1 kHz, l’échantillonnage d’un CD, ou 48 kHz.
Le signal échantillonné à 44,1 ou 48 kHz reste lisible par n’importe quel dispositif. À en croire MQA, il serait même d’une qualité supérieure à celle du signal équivalent provenant d’un CD, grâce au travail de rééchantillonnage et de correction des erreurs temporelles réalisé au plus près de la source. Il faut toutefois un décodeur certifié, comme Audirvana Plus, pour déplier l’« origami » et reconstituer un fichier de haute résolution.
Le résultat ne correspond pas « parfaitement à ce qui a été joué dans le studio lors de l’enregistrement » : le travail d’« optimisation » de la source et le processus de « pliage » sont de facto destructifs. MQA assure toutefois que cette destruction touche des informations inaudibles et donc inutiles, un constat partagé par de nombreux journalistes spécialisés, ainsi que par Damien Plisson :
Sur un petit nombre d’enregistrements des toutes dernières années, pour ne pas être limité par la qualité d’enregistrement, je n’arrive pas à entendre la différence entre un fichier lossless provenant de chez Qobuz et le fichier MQA équivalent provenant de chez Tidal. […] L’approche psychoacoustique du MQA peut rappeler celle du MP3, mais on a vraiment fait d’énormes avancées en 20 ans : ce qui est supprimé par l’encodage MQA, c’est vraiment ce que l’on n’entend pas.
Le MQA, pour faciliter le streaming haute-résolution
Le jeu en vaut la chandelle, puisqu’un fichier MQA contenant presque autant d’informations musicales qu’un fichier lossless 24/192 de 45 Mo pèse moins de 20 Mo. Voilà qui pourrait résoudre le problème de bande passante auquel est confronté le streaming haute-résolution, qui limite énormément l’utilisation de l’offre Sublime+ de Qobuz aux toutes meilleures connexions. « C’est la raison d’être de MQA », dit Damien Plisson, la raison pour laquelle Tidal l’a adopté si rapidement.
Or Audirvana Plus est tout autant un gestionnaire d’audiothèque qu’une interface pour ces deux services de streaming, Tidal et Qobuz. « Il y a deux catégories d’utilisateurs d’Audirvana Plus », explique le développeur : « d’un côté des utilisateurs généralement plus âgés, qui possèdent du matériel d’écoute traditionnel et collectionnent les fichiers ; et de l’autre des utilisateurs plus jeunes, qui écoutent plus souvent au casque et ont l’habitude du streaming ».
« Que l’on écoute depuis sa bibliothèque ou depuis un service de streaming, c’est la même chose pour Audirvana Plus » : qu’il provienne d’un CD ou de Qobuz, qu’il soit au format MP3 ou au format MQA, le fichier reçoit les mêmes traitements et bénéficie des mêmes algorithmes. Le but de l’application, offrir la meilleure qualité sonore, n’a pas changé, mais l’application elle-même a changé, suivant les besoins de ses utilisateurs et les évolutions du marché musical.
Alors que le streaming est désormais la première source de revenus de l’industrie, et qu’il convainc jusqu’aux plus audiophiles avec de nouvelles offres que le MQA promet de faciliter, que va-t-il advenir d’un lecteur de bureau comme Audirvana Plus ? « Audirvana Plus n’est pas un composant hi-fi », explique Damien Plisson, « mais vous permet de transformer votre ordinateur en meilleur composant hi-fi possible. » L’application continuera donc à évoluer avec cet objectif en tête : elle pourrait arriver un jour sur Windows, ou plus probablement intégrer des protocoles réseau comme l’UPnP et recevoir un ravalement de façade.
Audirvana Plus 3 vaut 77 €, ou 41 € si vous possédez une ancienne version, mais peut être testé gratuitement pendant quinze jours. L’acquisition d’une licence permet de recevoir des coupons pour un mois d’essai à Qobuz Hi-Fi et trois mois d’essai à Tidal Hi-Fi. Enfin, sachez que vous pouvez télécharger gratuitement quelques fichiers MQA, ainsi que les fichiers « qualité CD » et « sans perte » équivalents, chez 2L.