30 ans, c’est l’âge remarquable atteint cette année par PopChar, une application Mac facilitant la saisie de caractères spéciaux. Un anniversaire qui est l’occasion pour son créateur, Günther Blaschek, de revenir sur son évolution au long cours.
Tout commence en 1987, quand le docteur en informatique autrichien a besoin de trouver des caractères spéciaux dans la police Symbol :
L’utilitaire Key Caps d’Apple [remplacé par le Visualiseur de clavier dans Mac OS X Panther, ndr] n’était pas très efficace parce que je devais essayer toutes sortes de combinaisons au clavier pour voir quels caractères étaient disponibles.
Étant développeur, j’ai décidé d’écrire un petit utilitaire me permettant de sélectionner des caractères plus facilement. J’ai réalisé cet utilitaire en Turbo Pascal sur un Mac Plus avec 2,5 Mo de mémoire.
La quantité de mémoire étant très limitée, il n’est pas possible de faire tourner plusieurs applications en même temps, à l’exception des « Accessoires de Bureau », de petits programmes pouvant s’afficher par-dessus l’application principale : « J’ai donc créé un Accessoire de Bureau baptisé “Character Map” qui affichait tous les symboles pour une police donnée et permettait de les copier-coller dans un document texte. »
Günther Blaschek fait ensuite évoluer son programme en une extension du système (INIT) afin de pouvoir le laisser constamment à l’écran et insérer directement un caractère. Le nom définitif de l’application jaillit dans son esprit comme les caractères à l’écran (« CHARacters POPped up ») : PopChar — qu’il prononce « pop car », étant germanophone.
En même temps que l’informaticien met à jour son application pour prendre en charge les moniteurs couleurs, passer à Think Pascal ou bien encore résoudre des problèmes liés à Microsoft Word, il la distribue gratuitement au gré du bouche-à-oreille. Il demande uniquement en échange aux utilisateurs de lui envoyer des cartes postales et des timbres. « Je ne peux pas dire combien j’en ai reçu au cours de toutes ces années », se souvient-il.
En 1995, il se rend compte qu’il consacre trop de son temps libre à PopChar, et décide que le moment est venu de tirer un peu d’argent de cette activité. Il change d’environnement de développement (il passe à CodeWarrior) et réécrit entièrement PopChar. Un an plus tard sort PopChar Pro, une toute nouvelle version apportant le réglage de la taille des polices, la sélection manuelle des polices, une fenêtre flottante, un éditeur de mise en page et la gestion de plusieurs langues. C'est aussi à cette période que le logiciel est traduit en français par l'universitaire Hervé Bismuth.
Le lancement de Mac OS X en 2001 marque un nouveau tournant : « C’était un changement majeur qui rendait obsolètes la plupart des technologies utilisées dans PopChar Pro. » Le développeur réécrit alors l’application en C++ et se sert du framework Carbon comme base. En mai 2001, Ergonis Software, l’entreprise fondée par son associé Christoph Reichenberger, ouvre son site web et y distribue PopChar X.
Quatre ans plus tard, nouveau bouleversement, Apple annonce la transition vers les processeurs Intel. « PopChar a été encore refait de fond en comble, cette fois en Objective-C avec Xcode. Le résultat a été PopChar 3. Comme PopChar 3 était désormais basé sur Cocoa, il pouvait exploiter de nouvelles technologies et disposer d’une interface utilisateur moderne. Mais le plus important était qu’il s’agissait d’un “binaire universel” qui tournait nativement sur les Mac PowerPC et Intel », raconte Günther Blaschek.
Depuis, pas de refonte aussi profonde, mais des mises à jour régulières pour suivre l’évolution d'OS X et d’Unicode, ainsi que pour retirer les éléments devenus superflus et ajouter de nouvelles fonctionnalités. En 2014, par exemple, PopChar 7 introduit un outil de recherche graphique pour trouver un caractère en le dessinant.
En 30 ans, PopChar sera passé d’un écran noir et blanc de 512 x 342 pixels à un écran Retina 5K, d’un processeur Motorola 68000 cadencé à quelques MHz à un processeur Intel multicœur à plusieurs GHz, du System 4.2 à macOS Sierra, et il aura aussi survécu à bon nombre de logiciels.
« Pour survivre à tous ces changements, PopChar a été réécrit complètement à plusieurs reprises. Ces efforts ont été nécessaires pour assurer une évolution régulière de PopChar et un support continu pour nos clients fidèles », conclut l’infatigable développeur… qui est en train de finaliser une nouvelle version majeure.
MacGeneration : Lorsque vous avez créé Character Map, aviez-vous imaginé que vous travailleriez toujours dessus 30 ans plus tard ?
Günther Blaschek : Absolument pas ! Je crée souvent de petits programmes pour mes besoins personnels. Character Map aurait pu disparaître après quelques utilisations, mais il s’est révélé être utile, alors je l’ai conservé et mis à disposition pour des collègues. Et à partir du moment où j’ai reçu des commentaires positifs, je l’ai fait perdurer et j’ai continué de l’améliorer.
Est-ce que ce n’est pas lassant de travailler sur la même application pendant 30 ans ?
Pas du tout. C’est en fait assez stimulant et même parfois excitant de faire avancer PopChar, de l’adapter aux changements technologiques, pour le rendre encore meilleur. Et je dois dire que j’utilise toujours PopChar régulièrement et que je ne pourrais pas vivre sans lui.
Quelle a été la plus grande étape à franchir pour PopChar ? La transition vers Mac OS X, les processeurs Intel ?
La transition vers Mac OS X a été difficile, mais ça n’a pas été une si grande étape. J’ai pu utiliser les mêmes technologies et j’ai seulement eu à convertir les parties principales du Pascal au C++.
Le plus gros changement a été la transition de C++ (avec Carbon) vers Objective-C (avec Cocoa). Il a fallu tout reprendre de zéro ; pas seulement l’interface utilisateur, mais toutes les technologies fondamentales de polices. Au bout du compte, j’ai été surpris de voir que le résultat était bien plus propre et cohérent. C’est toujours le code de base de la version actuelle de PopChar.
Si vous pouviez changer quelque chose dans le parcours de PopChar, qu’est-ce que ce serait ?
Il n’y a rien que je voudrais changer, je pense que nous nous en sommes bien sortis. Mais parfois j’aimerais simplifier les choses en supprimant les fonctionnalités les moins importantes. Mais c’est très difficile parce que les utilisateurs s’y habituent et s’attendent donc à les retrouver dans les nouvelles versions.
Quels sont vos conseils pour faire durer une application dans le temps ?
Mon conseil pour faire durer une application : écouter les utilisateurs. Notez leurs commentaires, faites une liste des nouveautés potentielles, mais ne les implémentez pas immédiatement. Passez en revue et classez les éléments de cette liste encore et encore, et essayez de trouver des solutions propres. Plus d’une fois, il s’est avéré qu’un petit changement a pu améliorer de nombreuses choses à la fois. Mais ces « petits changements » ne sont pas souvent faciles à trouver.
Je conseillerais également vivement aux développeurs d’utiliser leurs propres produits. Pas seulement de temps en temps, mais quotidiennement. Cela aide à comprendre les besoins et les difficultés des utilisateurs.
Que pensez-vous de l’évolution des outils de programmation d’Apple ? Est-il devenu plus facile de créer des applications aujourd’hui ?
Oui et non. La technologie, dont des outils comme Xcode, est devenue plus puissante, mais aussi plus complexe. Certains aspects, comme la création d’interfaces, sont devenus beaucoup plus faciles, mais on se retrouve aussi à devoir gérer de plus en plus de tâches administratives comme la prise en charge de certificats, la signature des images disques, etc.
Est-ce que vous prévoyez de passer à Swift à moyen terme ?
Non. J’utiliserai probablement Swift pour de nouveaux projets, mais nos logiciels sont toujours compatibles jusqu’à Snow Leopard (10.6). Je vais donc continuer à utiliser Objective-C pendant un moment [les logiciels écrits en Swift demandent au moins OS X 10.9, ndr].
Avez-vous envisagé de vendre PopChar dans le Mac App Store ?
Cela ne fonctionnerait pas. La fonction principale de PopChar est d’insérer des caractères dans l’application en cours d’un simple clic. Les règles strictes de sandboxing pour les applications du Mac App Store interdisent l’utilisation des techniques requises pour cette fonction.
Et une version iOS de PopChar, vous y avez pensé ?
Le public le plus important de PopChar est constitué de gens qui travaillent régulièrement avec du texte et des graphiques. Si vous voulez rédiger un rapport élaboré, réaliser une excellente présentation ou créer un graphique sophistiqué, vous allez le faire sur un ordinateur, pas sur un iPhone ou un iPad.
Phil Schiller a récemment déclaré que plutôt que des mises à jour payantes (que des développeurs réclament dans l’App Store iOS), « le modèle de l’abonnement est une meilleure manière de procéder pour de nombreux développeurs ». Êtes-vous d’accord avec cela ? Avez-vous envisagé mettre en place un paiement par abonnement ?
Quand Ergonis a été fondé, nous avions en fait une politique de licence assez similaire à celle d’un abonnement : les utilisateurs achetaient une licence et avaient droit aux mises à jour pendant deux ans. Après quoi, ils pouvaient renouveler leur licence pour deux années supplémentaires.
Nous avons reçu beaucoup de commentaires négatifs à ce propos, donc nous avons changé la politique de la manière suivante : tous ceux qui ont acheté une licence de PopChar 7.0 en 2014 ont reçu toutes les mises à jour 7.x gratuitement. Et si vous achetez une licence aujourd’hui, vous bénéficierez gratuitement la version 8.0 (qui sera bientôt disponible) et de toutes les mises à jour 8.x.
C’est simple à expliquer, et les utilisateurs savent ce qu’ils paient. Et quand quelqu’un ne veut pas renouveler sa licence, il peut continuer d’utiliser la dernière version couverte par sa licence. En bref, non, je ne crois pas que nous ou nos clients gagnons quelque chose avec le modèle de l’abonnement.
Dans la « mission » d’Ergonis, vous écrivez que « la plupart des systèmes d’exploitation actuels sont trop compliqués pour les besoins des utilisateurs. » Vous pensez que macOS a fait des progrès en la matière au fil des ans ? Qu’est-ce qu’Apple pourrait faire pour simplifier ses systèmes ?
C’est une question difficile. Nous nous demandons aussi ce que nous pouvons faire pour simplifier PopChar. Simplement retirer des fonctionnalités ne marche pas. Au contraire, les utilisateurs demandent typiquement de plus en plus de fonctionnalités. D’après mon expérience, il est souvent utile de réorganiser l’interface afin que les mêmes choses (ou parfois plus de choses) puissent être réalisées de manière plus simple. Mais il faut que ce soit fait très prudemment, de sorte que les anciens utilisateurs n’aient pas besoin de réapprendre le logiciel.
Selon moi, la clé de la simplicité est de maintenir l’illusion de la simplicité : même si la technologie est complexe, le logiciel doit avoir un modèle cohérent et permettre aux utilisateurs de faire les tâches les plus fréquentes avec des étapes simples. C’est pourquoi PopChar fonctionne toujours de la même manière qu’au début : cliquez sur « P » pour ouvrir PopChar, puis cliquez sur un caractère pour l’insérer.
En ce qui concerne Apple et macOS, la question devient encore plus difficile pour un système d’exploitation qui a de nombreux utilisateurs qui n’ont ni le même bagage ni les mêmes demandes. Je ne pense pas qu’il y ait de réponse simple.
Pour fêter les 30 ans de PopChar ainsi que son 15e anniversaire, l’éditeur Ergonis Software fait une remise de 45 % sur ses logiciels jusqu’au 23 mai. Il faut utiliser le code « PopChar30 » lors de l’achat de PopChar, Typinator ou KeyCue.