À l’occasion de son trentième anniversaire, on a beaucoup parlé du Macintosh. C’est un ordinateur important, historique même, mais pas forcément celui auquel les « vieux de la vieille » pensent lorsqu’on leur demande de parler de leur machine préférée. Cet honneur est bien souvent réservé au Macintosh SE/30, sans aucun doute un des tout meilleurs Mac jamais produits par Apple.
Le Macintosh SEx
Commercialisé cinq ans après la présentation du premier Macintosh, le Macintosh SE/30 est l’ultime représentant de la première génération de Mac tout-en-un. Comme son nom l’indique, il tient énormément du Macintosh SE, le premier Mac doté d’une baie d’expansion (SE veut dire « system expansion »), d’un disque dur interne, de ports ADB… et d’un ventilateur.
Le Macintosh SE était construit autour d’un processeur Motorola 68000 à 8 MHz : son successeur à processeur Motorola 68030 aurait dû reprendre son nom augmenté d’un « x », de la même manière que le Macintosh IIx a suivi le Macintosh II. Un Macintosh SEx serait assurément rentré dans l’histoire, mais Apple a préféré s’épargner quelques moqueries et trouver un autre nom. Un petit arrangement qui fait qu’aujourd’hui encore, le Macintosh SE/30 est le seul et unique ordinateur Apple dont le nom comporte une barre oblique.
Le Macintosh SE/30 tient d’ailleurs tout autant du Macintosh IIx que du Macintosh SE. Il n’a par exemple qu’un seul lecteur de disquettes 3” ½, alors que le Macintosh SE en avait deux. Mais c’est le lecteur du Macintosh IIx, un des tout premiers compatibles avec les disquettes haute densité 1,44 Mo : le SuperDrive, une appellation par la suite réutilisée pour les graveurs de CD et DVD. Il intègre le même processeur Motorola 68030 à 16 MHz, le même FPU Motorola 68882, le même disque dur 40 ou 80 Mo et surtout la même mémoire SIMM.
Parenthèse « Le Chat Mauve »
Les processeurs Motorola 68000 étaient des processeurs 32 bits adressant la mémoire sur 24 bits et donc capables de gérer jusqu’à 16 Mo de mémoire (2^24 octets). À une époque où la mémoire valait extraordinairement cher et les ressources étaient limitées, Andy Hertzfeld a eu l’idée d’exploiter les 8 bits restants pour stocker les informations du système de gestion de la mémoire. Une idée « stupide », de son propre aveu.
Car les processeurs Motorola 68030, eux, adressaient la mémoire sur 32 bits : soudainement, les 8 bits autrefois disponibles ne l’étaient plus. Pour éviter tout problème, les premières machines 68030 tournaient en « mode 24 bits » avec une limite de 8 Mo de RAM. C’était le cas du Macintosh SE/30, alors qu’Apple vantait sa capacité à gérer jusqu’à 128 Mo de RAM, une quantité incroyable à l’époque.
Ceux qui ont connu cette époque se souviennent sans doute de MODE32, un utilitaire de l’indispensable Connectix qui permettait de patcher la ROM pour passer en mode 32 bits et donc profiter d’une grande quantité de mémoire. Menacée de poursuites par des utilisateurs mécontents, Apple finit par acheter MODE32 et le distribuer gratuitement : on peut d’ailleurs toujours le télécharger sur son site.
Le Système 7 permettait au Macintosh SE/30 de gérer 128 Mo de RAM sans MODE32, sans toutefois modifier sa ROM — or comme 7.6 demandait une véritable ROM « 32 bits », le Macintosh SE/30 était limité à 7.5.5. Du moins officiellement : officieusement, les plus débrouillards remplaçaient sa ROM par celle d’un Mac IIsi pour profiter des dernières versions du Système 7. Et les plus téméraires remplaçaient carrément son processeur par un Motorola 68040 pour passer à Mac OS 8.
L’ultime « vrai » tout-en-un
Un Macintosh SE/30 acheté en 1989 et régulièrement mis au goût du jour a donc pu profiter de toutes les évolutions logicielles jusqu’en 1999. Une durée de vie exceptionnelle, mais le Macintosh SE/30 a été populaire dès son premier jour : il faut dire qu’il coûtait 1 300 $ de moins que le Macintosh IIx dont il était si proche, alors qu’il intégrait un écran noir et blanc 9 pouces 512 x 342. Mais il valait tout de même 6 500 $, l’équivalent de 8 650 € aujourd’hui.
Or Apple a longtemps continué à vendre le Macintosh SE, une machine certes trois à quatre fois moins puissante, mais aussi deux fois moins chère — et qui pouvait être « transformée » ultérieurement en Mockintosh SE/30 à l’aide d’un pack comprenant une carte-mère et une façade de remplacement. Le Macintosh SE/30 est en fait une exception dans la lente descente en gamme des Mac tout-en-un : le Macintosh Classic II qui lui a « succédé » était une machine moins puissante, moins évolutive, et surtout bien moins chère.
Car à l’époque, sous la pression d’une partie de sa clientèle professionnelle et la concurrence des fabricants de PC, Apple met en avant des Mac plus modulaires. L’ombre du Macintosh original se dissipe progressivement et les Macintosh II puis les Quadra prennent l’ascendant pour former le cœur de la gamme. Dès lors, les tout-en-un ne reviendront qu’en pointillés, jusqu’à ce que Steve Jobs ne les ressuscite avec l’iMac G3.
Un Mac emblématique
Mais c’est justement parce que le Macintosh SE/30 est une exception dans ce mouvement qui a conduit à la banalisation d’Apple qu’il est resté dans les mémoires. John Gruber, le célèbre auteur du blog Daring Fireball, dit par exemple :
Le Macintosh SE/30 est le sommet de l’architecture du Mac original. Il ressemble beaucoup à ses prédécesseurs, mais il était beaucoup plus rapide — c’était le premier tout-en-un qui permettait aux logiciels de vraiment s’exprimer. Ses spécifications, comme le disque dur de 40 Mo ou l’écran 9 pouces avec seulement 512 pixels sur 342, semblent ridicules par rapport aux normes actuelles. Mais comme tous les grands Mac, le SE/30 n’était pas seulement une formidable machine à son lancement ; il est resté extrêmement confortable pendant des années. Lorsque je pense à l’époque du Mac original, je pense au Mac SE/30.
Le développeur et auteur Jon Siracusa est sans doute celui qui résume le mieux la position unique occupée par le Macintosh SE/30 dans l’histoire d’Apple :
Il fut un temps où chaque nouveau Macintosh égalait ou améliorait tous les aspects de son prédécesseurs. Le Macintosh SE/30 est arrivé à la toute fin de cette époque, et représente l’apogée du format du Macintosh original. Tout aussi puissant que l’incroyablement cher Macintosh IIx, le SE/30 était comme un moteur V12 que l’on aurait casé au chausse-pied sous le capot d’une Honda Civic. […] C’est le roi incontesté des Mac d’origine et, donc, de tous les Mac jusqu’à la fin des temps.
C’est un Mac qui a marqué toute une génération, non pas seulement parce qu’il a été le premier Mac de quelques-uns des acteurs les plus influents de ce qu’il reste de la « communauté Apple », non pas seulement parce qu’il trônait sur le bureau de Seinfeld, mais aussi parce que beaucoup des premiers sites web étaient hébergés sur des Macintosh SE/30. Un Mac si emblématique que même les services secrets s’en sont servis !