Avez-vous remarqué qu'après chaque mise à jour d'iOS, le Bluetooth était activé, et ce, même si vous l'aviez coupé manuellement au préalable ? Il ne s'agit pas d'un bug, mais bien d'une action volontaire du système. La preuve ? Apple a corrigé avec iOS 8 une erreur qui entraînait une activation inopportune du Bluetooth, mais n'a pas touché à sa réactivation après chaque installation d'une nouvelle version d'iOS.
Si cette technologie sans fil, qui a eu pendant longtemps une mauvaise réputation à cause de son aspect énergivore, est imposée de la sorte par Apple, c'est parce qu'elle est indispensable pour de plus en plus de fonctions. Au-delà des multiples accessoires sans fil (claviers, souris, casques...), Cupertino tire parti du Bluetooth pour proposer des services maison comme AirDrop et Continuité, et ça n'est pas près de s'arrêter.
Une radio locale
Avant de voir comment Apple fait usage du Bluetooth actuellement, un petit retour en arrière. Cette technologie a été inventée en 1994 par Ericsson dans l'objectif de proposer une alternative sans fil aux câbles RS-232, plus connus sous le nom de « port série ». C'est quatre ans plus tard que l'invention sera baptisée officiellement Bluetooth, du nom d'un roi danois qui a unifié le Danemark, tout comme la technologie fait communiquer des objets disparates.
L'année 1998 a également été marquée par la création du Bluetooth Special Interest Group (SIG), le consortium d'industriels qui développe la technologie et possède sa marque. L'organisation, au départ fondée par cinq entreprises (Ericsson, Intel, Nokia, Toshiba et IBM), compte aujourd'hui plus de 20 000 membres. Une explosion qui s'explique par le fait que les sociétés doivent appartenir à cet organisme sans but lucratif pour avoir le droit d'utiliser la marque Bluetooth.
Le principe du Bluetooth peut être résumé en quatre points : faible portée, faible débit, faible consommation et faible coût. Des caractéristiques qui en font une technologie opposée — et complémentaire comme nous le verrons plus tard — au Wi-Fi.
Techniquement, la création d'Ericsson repose sur plusieurs protocoles matériels et logiciels. La couche la plus basse, qui est gérée par le matériel, définit l'envoi d'ondes radio ultra hautes fréquences pour échanger des données à très courte distance. La technologie opère dans la bande des 2,4 GHz, la même que celle du Wi-Fi. Au-dessus, la bande de base administre les adresses matérielles des périphériques et gère les différents types de connexion entre les appareils (synchrone ou asynchrone). Le contrôleur de liaisons s'occupe de l'encodage et du décodage des paquets, tandis que le gestionnaire de liaisons est responsable de l'établissement de la connexion et s'occupe de la sécurité (authentification, jumelage, chiffrement et création des clés).
Au niveau logiciel, la couche L2CAP est le protocole de base d'échange des données. Des services se chargent ensuite d'effectuer des actions bien spécifiques, comme SDP qui sert à rechercher d'autres appareils compatibles. Enfin, les profils sont des spécifications d'un usage particulier. En cela, ils peuvent correspondre à un type d'appareil spécifique. On retrouve ainsi l'A2DP (Advanced Audio Distribution Profile) exclusivement dans les appareils audio, puisqu'il est destiné à faire transiter des fichiers audio de haute qualité.
Des débuts mitigés
Depuis sa création, différentes versions de la norme se sont succédé, chacune apportant son lot d'améliorations. Dans les appareils Apple, puisque c'est cela qui nous intéresse, le Bluetooth a fait son apparition en 2003, dans sa version 1.1 qui corrigeait essentiellement des problèmes de compatibilité de la mouture précédente.
Le PowerBook G4 en était équipé en standard, tandis qu'il était proposé en option pour l'iBook G4, l'iMac tournesol et le Power Mac G4. L'arrivée du Bluetooth dans les Mac n'était pas fortuite : cette année-là, Apple a commercialisé son premier clavier et sa première souris sans fil. Le bénéfice était simple ; se débarrasser des câbles inesthétiques qui reliaient habituellement les périphériques à l'ordinateur. Une commodité qui apportait aussi son lot d'inconvénients, comme nous l'expliquions dans notre test :
Le surpoids induit par la présence des deux piles [dans la souris] n'est vraiment pas gênant. Ce qui l'est beaucoup plus, c'est le très net sentiment que le curseur est à la traîne par rapport aux déplacements. L'impression est la même que lorsque le Mac, parce que trop d'opérations sont lancées en même temps, peine à les exécuter. Le déplacement du curseur semble alors moins rapide et le pointage moins précis. [...] Toujours est-il qu'en connectant le dongle USB non plus sur le Cube lui-même, mais sur l'écran, dont la souris est évidemment plus proche, ce sentiment, sans pour autant disparaître, s'est quelque peu estompé.
Quant à l'autonomie de l'ensemble, quelle surprise de voir, à peine quelques heures après l'installation que les deux barres bleues sont déjà bien entamées ! Qu'est-ce à dire ? Qu'il va falloir changer les piles toutes les semaines ? On n'ose le croire.
L'autonomie a été en effet pendant un bon moment le point noir du Bluetooth. La technologie permettait certes de couper le cordon de différents périphériques, mais au prix de recharges fréquentes de piles ou de batteries. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'iPod n'a jamais été doté d'une puce Bluetooth (à l'exception de l'iPod touch et du dernier nano 7G). Les designers d'Apple ont réclamé cette compatibilité sans fil, très utile pour les casques, mais elle a été refusée par l'équipe en charge du matériel pour ne pas grever l'endurance du baladeur.
Au fil des versions, le Bluetooth a amélioré sa consommation d'énergie. En 2009, l'autonomie de l'alors toute nouvelle Magic Mouse était d'un mois en utilisation quotidienne avec un MacBook Pro 2007 doté du Bluetooth 2.0 et de quasiment le double avec un MacBook Pro Unibody équipé du Bluetooth 2.1 + EDR.
L'iPhone, lui, a logiquement été doté de cette technologie sans fil depuis ses débuts — le contraire eût été étonnant pour le terminal mobile par excellence. Apple avait même sorti son propre accessoire Bluetooth pour l'iPhone original. Cette oreillette, vendue 119 € au départ, n'a pas fait long feu puisqu'elle a été retirée dès 2009 du catalogue. Une disparition insignifiante en regard de la grosse vague d'accessoires Bluetooth pour iPhone qui a très vite déferlé.
Apple première sur le Bluetooth 4.0
Le Bluetooth a franchi une étape clé avec sa version 4.0. Cette mouture a été pensée pour les objets connectés, des objets qui n'ont souvent pas la place d'accueillir de grosses batteries et qui nécessitent d'être branchés en continu à un terminal mobile. Typiquement, les traqueurs d'activités font partie de ces nouveaux types d'accessoires qui requièrent une connexion sans fil constante (pour que les données soient actualisées de manière transparente) et peu énergivore (car il n'est pas possible de caser une batterie importante dans un bracelet). Ainsi, la principale nouveauté du Bluetooth 4.0 est sa faible consommation énergétique, d'où son appellation Low Energy (LE).
Apple a saisi la balle au bond pour renforcer son écosystème d'accessoires pour iPhone déjà très important. L'iPhone 4s a été le premier smartphone Bluetooth Smart Ready, une certification pour désigner un appareil compatible avec le Bluetooth LE. Le Mac mini et le MacBook Air mi-2011 ont quant à eux été les premiers ordinateurs à intégrer la norme. Peu de temps avant la présentation de ces produits, Apple a rejoint le conseil d'administration du Bluetooth SIG. Un engagement annonciateur de ses grandes ambitions pour cette technologie et de sa volonté de peser dans son développement.
Car la firme de Cupertino ne s'est pas contentée de mettre en circulation des centaines de millions de terminaux compatibles, elle est entrée elle-même sur le marché des objets connectés d'une manière inattendue. Avec iBeacon, projet autrement plus ambitieux que son oreillette pour iPhone, elle a lancé une technologie de microlocalisation reposant intégralement sur le Bluetooth.
Pour pallier les inconvénients en intérieur des méthodes de géolocalisation habituelles (le GPS est inutile à l'intérieur des bâtiments et la triangulation par points d'accès Wi-Fi et antennes cellulaires peu précise), Apple s'est appuyé sur cette technologie qui ne présente pas ces désavantages. Un iBeacon n'est rien d'autre qu'un émetteur Bluetooth auquel on ajoute une couche logicielle spécifique. Quand un iPhone équipé d'une application capable de reconnaître le signal passe à proximité d'une balise, le smartphone se réveille et l'app idoine propose différents services.
iBeacon donne une nouvelle dimension intéressante au Bluetooth : la technologie ne sert pas tant à connecter des appareils entre eux, qu'à connecter l'iPhone au monde réel. Vous observez un casque dans un Apple Store ? Votre iPhone vous donne automatiquement des informations complémentaires sur le produit. Vous êtes sur le point d'entrer dans un stade de baseball ? Votre ticket électronique s'affiche tout seul à l'écran. À condition d'avoir l'application qui va bien, toutes ces actions sont totalement transparentes. Le Bluetooth devient une technologie diffuse.
- Notre dossier sur le sujet : iBeacon : Apple pose ses balises de microlocalisation
Le lien entre iOS 8 et Yosemite
Le Bluetooth est aussi au cœur de fonctions plus classiques, mais pas moins pratiques, dans les produits Apple. C'est le cas d'AirDrop, qui sert à échanger des fichiers entre deux appareils. L'usage du Bluetooth dans ce cas de figure a évolué depuis feu iSync. Proposé de 2002 à 2011, cet utilitaire permettait de synchroniser son calendrier et son carnet d'adresses sur un téléphone ou un PDA. Le transfert des fichiers se faisait en Bluetooth ou en USB.
Avec AirDrop, les fichiers échangés sont autrement plus volumineux qu'une liste de contacts. Il est impensable de transférer un fichier de plusieurs centaines de méga octets via Bluetooth. Le transfert se fait ainsi via Wi-Fi, mais le Bluetooth joue toujours le rôle d'entremetteur entre les deux appareils. C'est lui qui permet aux appareils de se « voir » et qui établit la connexion.
Le Bluetooth a la même fonction dans Handoff, qui permet de reprendre sur un Mac sous Yosemite ce que l’on a commencé sur un terminal iOS 8, ou inversement (et cela fonctionne aussi entre appareils iOS). C'est une connexion Bluetooth qui permet aux appareils à proximité de s'associer. Le principe est similaire pour Instant Hostpot, qui permet de partager automatiquement la connexion internet de son iPhone sur un autre terminal.
Apple a finement orchestré cette propagation du Bluetooth 4.0 dans ses services. Elle a tout d'abord écoulé des centaines de millions de terminaux compatibles, puis a ajouté les fonctions logicielles afin qu'elles soient accessibles au plus grand nombre.
En s'appropriant le Bluetooth, Apple le rend aussi invisible aux yeux de l'utilisateur. Pas besoin de jumeler manuellement son iPhone à son Mac pour profiter d'Handoff, l'opération se fait de manière transparente. Une expérience qui ne sera toutefois pas aussi limpide pour un futur produit...
- Notre dossier sur le sujet : OS X Yosemite et iOS 8 connectés comme jamais
Le pis aller pour l'Apple Watch
Le prochain produit à tirer parti du Bluetooth, c'est bien sûr l'Apple Watch. Pour des raisons d'endurance, comme quasiment toutes les montres connectées actuelles, elle ne sera pas autonome et devra être reliée à un smartphone pour dévoiler tout son potentiel. Et comme toutes les montres connectées actuelles, sa connexion se fera en Bluetooth. L'appareil embarquerait également une puce Wi-Fi, mais on ne sait pas si elle sera mise à contribution.
Dans le cas des montres connectées, le Bluetooth est plus un choix par défaut qu'une technologie vraiment appropriée. Vous vous éloignez un peu trop de votre iPhone ? L'Apple Watch ne pourra plus réceptionner vos emails et Siri ne saura plus répondre à vos questions. Alors en attendant que l'Apple Watch se connecte au réseau cellulaire, il faudra veiller à laisser actif le Bluetooth. Mais ça, iOS ne manque pas de le faire à chaque mise à jour.