Depuis Lion, Apple sort tous les ans une nouvelle version majeure d'OS X et du module OS X Server. Un rythme qui permet aux utilisateurs de bénéficier plus rapidement de nouvelles fonctions et d'améliorations, mais cette cadence est-elle adaptée au monde de l'entreprise ? Les professionnels ont des contraintes de compatibilité, de stabilité et de durabilité très fortes. Le tempo annuel donné par Apple s'accorde-t-il avec ces impératifs ? Si ce n'est pas le cas, peut-on se soustraire de cette vive allure ? C'est ce que nous avons demandé à des spécialistes confrontés à ces problématiques.
Un changement de système qui se prépare
Avant toute chose, les utilisateurs professionnels sont-ils au courant de la sortie des nouvelles versions d'OS X ? Absolument, répond Thibaut Metzinger, consultant certifié chez iNet System. « Tout le monde est au courant par la presse et les événements organisés par Apple. Mais les utilisateurs ne comprennent pas forcément toutes les implications que ces nouvelles versions représentent. » Il y a une distinction entre le professionnel qui gère sa machine tout seul et la direction des systèmes d'information (DSI) qui est généralement plus au fait des détails techniques, explique-t-il.
Pour autant, l'utilisateur final n'a pas besoin de formation quand il passe sur un nouveau système, assure Thibaut Metzinger. Un point de vue partagé par Guillaume Gète, consultant certifié indépendant : « Il est rare qu'au niveau utilisateur final, on ait besoin d'une formation, les bases d'OS X restant les mêmes. Une petite mise à jour des connaissances peut être nécessaire, mais rien de radical. »
À l'inverse, une formation pour la DSI peut être utile. « On peut dispenser une formation d'une journée à la personne référente pour les utilisateurs Mac afin de lui présenter les petites finesses de la nouvelle version », note le consultant d'iNet System.
Et pour dispenser ces formations, il faut évidemment que les conseillers connaissent OS X sur le bout des doigts. « Nous, professionnels du Mac, devons rester vigilants non seulement sur les changements esthétiques ou d'interface, mais surtout sur les changements internes », souligne Guillaume Gète qui donne un exemple concret :
Parfois, quand on fait des modifications de DNS, on a besoin de nettoyer le cache DNS pour s'assurer que les informations sont bien mises à jour (par exemple si on a changé l'adresse IP d'un serveur). Le Mac pourrait penser que le serveur est toujours à l'ancienne adresse IP si on ne rafraîchit pas le cache DNS. Eh bien, sous Yosemite, la commande pour nettoyer ce cache a encore changé !
On se dit qu'Apple pourrait faire un effort pour éviter de modifier ce genre de commandes administratives pourtant fort utiles… Et encore, là ce n'est rien. Souvenons-nous des énormes problèmes avec le protocole de partage de fichiers SMB, modifié avec Lion, et qui n'est réellement utilisable que depuis Mavericks. En fonction des implémentations, on peut se connecter à son serveur de fichiers SMB… ou pas. Quand on sait qu'Apple dégagera sûrement le protocole AFP d'ici trois versions d'OS X grand maximum, ça peut faire un peu peur…
Les versions bêtas sont justement là pour ça, relève Yoann Gini, un autre membre de l'Apple Consultants Network, le réseau des prestataires de services et de consultants certifiés par Apple. Mais globalement, « il y a suffisamment peu de différences coté administrateur système entre deux versions majeures pour que le changement soit indolore pour quelqu’un d’expérimenté », estime-t-il.
Un rythme annuel pas forcément suivi
Les consultants doivent donc se « mettre à jour » tous les ans, en même temps que les nouvelles versions. Mais ce n'est pas pour autant que les Mac de leurs clients doivent faire de même.
« Pour les machines existantes d’un parc, aucun souci, rien ne nous force à faire la mise à jour dans l’instant et les utilisateurs finaux ne peuvent pas le faire à notre place », expose Yoann Gini. Thibaut Metzinger va dans le même sens : « Tant que l'activité ne nécessite pas de changement informatique, le professionnel peut utiliser le système d'origine de la machine. »
L'extrême limite, c'est la fin du support par Apple, qui implique que les éventuelles failles de sécurité ne sont plus comblées. « Il ne faut plus d'OS X 10.6.8 si l'ordinateur se connecte à Internet », prévient-il. Apple continuant de fournir le support pour trois versions, il n'y a pas de raison à sauter sur un nouvel OS dès qu'il sort, abonde Guillaume Gète.
Le moment de l'application de la mise à jour dépend ensuite de différents prérequis. L'un des principaux est la compatibilité avec les logiciels tiers. Il faut parfois attendre quelques mois avant qu'un éditeur sorte une nouvelle mouture de son application pleinement compatible avec le système, « mais depuis plusieurs années, c'est Apple qui imprime le rythme, juge Thibaut Metzinger, la plupart des constructeurs, des accessoiristes et des éditeurs suivent ses innovations. »
« Cette mise à jour est lourde car Apple rend régulièrement obsolètes un certain nombre de fonctions utilisées sur les anciens systèmes », signale Jean Bousquet, le fondateur de Cogilog qui édite une dizaine de logiciels professionnels dans le domaine de la gestion.
Il y a aussi un impératif de stabilité du système lui-même. Pas question qu'il fasse perdre de précieuses heures de travail à cause d'un Wi-Fi défaillant ou d'un autre bug. « Typiquement, jusqu’à 10.10.2 je ne pouvais pas ouvrir de VPN depuis mon iMac qui est en IP fixe. Le passer en DHCP suffisait à refaire marcher le VPN », cite par exemple Yoann Gini.
Les trois membres de l'Apple Consultants Network s'accordent à dire qu'il faut attendre la version x.x.3 d'OS X :
C'est à partir de ces versions qu'on commence à atteindre une vraie stabilité et des performances vraiment améliorées. Par ailleurs les éditeurs ont alors corrigé leurs plus gros bugs. N'installez surtout pas un système dès qu'il sort : perte de productivité et arrachage de cheveux quasi assurés !
La rétrocompatibilité en question
Si les Mac déjà installés ne sont donc pas tenus de passer sur les nouvelles versions d'OS X dès leur sortie, il y a le cas des nouvelles machines qui viennent forcément équipées de la dernière mouture en date. Et il est impossible de les faire revenir sur une version précédente. Une situation qui peut compliquer les choses dans certains cas, comme en témoigne Yoann Gini :
Il n’est pas rare d’avoir des contraintes légales ou contractuelles dans une société qui nous force à tourner sur des environnements « validés ». Lorsqu’une étude d’un laboratoire doit être faite dans un environnement précis avec des versions logicielles précises, c’est toujours compliqué de forcer la main sur la montée de version du système d’exploitation. Ça rajoute du travail alors qu’on avait simplement envisagé d'installer un nouveau poste pour augmenter la cadence.
Guillaume Gète va dans le même sens :
On peut avoir besoin d'un OS compatible avec un logiciel un peu ancien. On n'a pas forcément envie d'investir dans la toute dernière version de FileMaker et cie. La virtualisation peut compenser un peu (on peut virtualiser OS X Server depuis la version 10.5, et OS X tout court depuis la 10.7), mais évidemment il y a un impact côté performances.
« Les logiciels ne sont pas forcément tout de suite compatibles, mais les éditeurs suivent forcément », tempère pour sa part Thibaut Metzinger.
Cogilog explique que ses clients ont souvent un parc hétérogène et qu'il doit évidemment prendre en compte ce paramètre. Tous ses logiciels sont ainsi compatibles de Snow Leopard à Yosemite. Cette rétrocompatibilité complique son travail d'adaptation et nécessite plusieurs mois de travail, « mais c’est le prix à payer pour bénéficier régulièrement de toutes les avancées d’Apple et contribuer à ce qu’Apple maintienne son avance sur les autres systèmes d’exploitation », observe Jean Bousquet.
Yoann Gini en appelle, lui, à un OS X en « Long-Term Support » sur lequel Apple s'engagerait à faire les mises à jour pendant 5 ans et à conserver à la vente des machines pouvant le faire tourner pendant 5 ans.
Gare toutefois à ne pas tomber dans les travers de Windows XP, comme le note Guillaume Gète :
En fait, je me dis parfois que l'informatique a été ralentie par Microsoft, et que c'est cette torpeur qui a imposé Windows XP durant des années. Qu'Apple veuille aller un peu plus vite, ce n'est pas forcément un mal non plus. Le risque étant d'aller parfois un poil trop vite… On se souvient de Snow Leopard, qui était une bonne version d'OS X parce qu'elle avait pris le temps de stabiliser son système. Ce serait bien de faire la même chose avec Yosemite.
Source : photo de couverture donfogle63