Fils de Jef Raskin, l'homme qui a défini les premiers concepts du Mac (et trouva son nom) avant que Jobs ne s'empare du projet, Aza Raskin a retrouvé un vieux mémo de 1981 rédigé par son père. Son contenu reste d'actualité lorsqu'on observe certains choix et la politique aujourd'hui d'Apple où prime un environnement technique soigneusement encadré. Ce mémo, explique Aza, a été rédigé en réaction à la prise de contrôle de Jobs sur le développement matériel du futur Macintosh qui allait être lancé trois ans plus tard.
On relève par exemple un écho à la volonté de garder le système sous un contrôle très strict ou dit autrement, éviter le risque de fragmentation matérielle avec la complexité qui en découle les développeurs et au bout du compte les utilisateurs. Une fragmentation qui a trouvé une illustration dans le monde Windows, et plus récemment sur la plateforme Android.
Raskin avait rejoint Apple en 1976 et commencé par la rédaction de manuels utilisateurs, ce qui le confrontait aux détails techniques des logiciels et matériels, et partant, à leur complexité. Enseignements qu'il faisait remonter aux équipes de développement.
Il fit ainsi le constat d'une trop grande diversité dans les matériels vendus par Apple. L'Apple II réagissant différemment selon la ROM installée sur la carte mère, la quantité de RAM, le type de clavier, les périphériques installés, etc.
Avec ce problème “Quel Apple, ou quel(s) Apple(s) devons-nous décrire dans les explications de nos manuels ? Est-ce que l'on devra avoir 12 notes en bas de page pour chaque mention de la touche RESET ? Est-ce que chaque rédacteur sera équipé avec non pas une, mais sept voire une douzaine de machines pour que chaque procédure puisse être confrontée au comportement que l'utilisateur va rencontrer ?”
Comment un utilisateur naïf peut-il gérer un tel système interroge, Raskin ? “Il ne peut pas”, chaque équipement de la machine nécessitant son propre mode d'emploi “De ce point de vue, l'Apple II/III est déjà dépassé. Nous ne pouvons pas revenir en arrière et simplifier les choses, nous ne pouvons qu'aller de l'avant.”
Avec comme conséquence de tirer un trait sur l'existant et redémarrer sur de nouvelles bases. Chose qu'Apple a souvent pratiquée, entre ses changements de processeurs (68000, PowerPC, Intel), de connectique (abandon en rase campagne de la disquette, de l'ADB, du Nubus ou du SCSI pour l'USB, le PCI et le FireWire) quand il ne s'agissait pas de l'OS (Mac OS 9 enterré au profit d'Unix). Des solutions de compatibilité avec l'existant étaient parfois proposées, mais pas toujours (la rupture introduite par l'USB fut assez violente les premiers mois, le temps que les fabricants de périphériques s'adaptent).
Ces constats ont dicté les principes fondateurs du Macintosh tel que Raskin l'imaginait “Il n'y aurait pas de connecteurs d'extension, comme ça le client n'aurait jamais à accéder à l'intérieur de la machine (toutefois des sorties externes seraient proposées) ; la capacité mémoire serait fixe ainsi toutes les applications fonctionneraient sur tous les Macintosh ; l'écran, le clavier et les supports de stockage (et, on peut l'espérer une imprimante) seraient intégrés de manière à ce que le client ait un vrai système complet, ainsi nous pourrions contrôler l'affichage des caractères et des graphismes.”
“Il est impossible d'écrire un programme sur l'Apple II ou III qui va dessiner un cercle en haute résolution du fait que les caractéristiques du téléviseur ou du moniteur de l'utilisateur sont inconnues” écrivait Raskin “Vous pouvez promettre que le cercle aura une forme fermée, mais pas beaucoup plus. Vous ne pouvez pas non plus garantir que les caractères seront lisibles. Dès lors, un système prévisible, qui puisse être documenté, doit être entièrement sous le contrôle d'Apple.” Le LISA avec son principe de tout-en-un correspondait à cette volonté d'avoir une machine qui ne serait pas soumise aux aléas des périphériques ou écrans qui lui seraient raccordés.
Plus loin, Raskin insiste sur la nécessité de s'en tenir à un volume de mémoire imposé “Un autre concept est celui du 'Think small'. Nous n'avons même pas commencé à atteindre les limites de ce qui est faisable avec 64 Ko de RAM et un unique support de stockage. Il est important de s'en tenir à ces limitations afin que le projet ne prenne pas une ampleur énorme, longue et coûteuse”
Il y avait aussi la volonté de partager les ressources entre les différents projets - Apple II/III, LISA et Macintosh - qui devraient utiliser le même processeur, ainsi le développement du Macintosh en serait accéléré et l'expérience logicielle acquise pourrait être réutilisée.
Aujourd'hui on peut voir ce principe - somme toute, plein de bon sens - appliqué à la famille iOS. iPhone, iPod touch et iPad sont trois familles distinctes, avec un public et des usages différents, mais qui partagent des fondations matérielles et logicielles identiques, apportant une cohérence dans leur utilisation pour l'utilisateur. Sans parler de Mac OS X Lion qui va prolonger une part de l'expérience utilisateur d'iOS.
“La société envisage de standardiser le design du clavier pour nombre de produits actuels et à venir - ce qui, sur le long terme, se révélera efficace à de nombreux points de vue tels que le coût, l'adoption par l'utilisateur, la simplicité pour en rédiger les documentations et une uniformité dans la conception de logiciels”.
Cette uniformité, gage de simplicité, figurait à nouveau dans la conclusion de Raskin “Macintosh est conçu comme une fondation stable pour notre ligne de produits d'entrée de gamme. En limitant ses capacités d'extension, nous aurons un produit qui sera libre de se développer vers les sommets de nouveaux marchés de masse - pour lesquels il est essentiel que chaque Mac soit identique (le secret du marketing de masse pour le logiciel est d'avoir une base matérielle et logicielle très large et extrêmement uniforme).”
Plusieurs années plus tard ces principes auront été allègrement violés. Le Macintosh a pris plusieurs formes, les bus d'extension internes se sont développés, on se souviendra aussi du Macintosh II, qui affirma cette notion de machine évolutive pour mieux se distinguer de ses prédécesseurs.
Au retour de Jobs, un vaste ménage fut effectué dans la gamme qui présentait un nombre incroyable de configurations et de designs, avec au final un carré organisé autour de quatre familles, qui depuis ont évolué, mais restent assez contenues dans leur diversité.
C'est toutefois la gamme iOS, avec son écosystème logiciel et commercial fermé et qui correspond peut-être le plus à la vision de Raskin. La diversité s'y exprime pleinement par un foisonnement logiciel, mais sur des plateformes matérielles très encadrées.
image : andyapple2
On relève par exemple un écho à la volonté de garder le système sous un contrôle très strict ou dit autrement, éviter le risque de fragmentation matérielle avec la complexité qui en découle les développeurs et au bout du compte les utilisateurs. Une fragmentation qui a trouvé une illustration dans le monde Windows, et plus récemment sur la plateforme Android.
Raskin avait rejoint Apple en 1976 et commencé par la rédaction de manuels utilisateurs, ce qui le confrontait aux détails techniques des logiciels et matériels, et partant, à leur complexité. Enseignements qu'il faisait remonter aux équipes de développement.
Il fit ainsi le constat d'une trop grande diversité dans les matériels vendus par Apple. L'Apple II réagissant différemment selon la ROM installée sur la carte mère, la quantité de RAM, le type de clavier, les périphériques installés, etc.
Avec ce problème “Quel Apple, ou quel(s) Apple(s) devons-nous décrire dans les explications de nos manuels ? Est-ce que l'on devra avoir 12 notes en bas de page pour chaque mention de la touche RESET ? Est-ce que chaque rédacteur sera équipé avec non pas une, mais sept voire une douzaine de machines pour que chaque procédure puisse être confrontée au comportement que l'utilisateur va rencontrer ?”
Comment un utilisateur naïf peut-il gérer un tel système interroge, Raskin ? “Il ne peut pas”, chaque équipement de la machine nécessitant son propre mode d'emploi “De ce point de vue, l'Apple II/III est déjà dépassé. Nous ne pouvons pas revenir en arrière et simplifier les choses, nous ne pouvons qu'aller de l'avant.”
Avec comme conséquence de tirer un trait sur l'existant et redémarrer sur de nouvelles bases. Chose qu'Apple a souvent pratiquée, entre ses changements de processeurs (68000, PowerPC, Intel), de connectique (abandon en rase campagne de la disquette, de l'ADB, du Nubus ou du SCSI pour l'USB, le PCI et le FireWire) quand il ne s'agissait pas de l'OS (Mac OS 9 enterré au profit d'Unix). Des solutions de compatibilité avec l'existant étaient parfois proposées, mais pas toujours (la rupture introduite par l'USB fut assez violente les premiers mois, le temps que les fabricants de périphériques s'adaptent).
Ces constats ont dicté les principes fondateurs du Macintosh tel que Raskin l'imaginait “Il n'y aurait pas de connecteurs d'extension, comme ça le client n'aurait jamais à accéder à l'intérieur de la machine (toutefois des sorties externes seraient proposées) ; la capacité mémoire serait fixe ainsi toutes les applications fonctionneraient sur tous les Macintosh ; l'écran, le clavier et les supports de stockage (et, on peut l'espérer une imprimante) seraient intégrés de manière à ce que le client ait un vrai système complet, ainsi nous pourrions contrôler l'affichage des caractères et des graphismes.”
“Il est impossible d'écrire un programme sur l'Apple II ou III qui va dessiner un cercle en haute résolution du fait que les caractéristiques du téléviseur ou du moniteur de l'utilisateur sont inconnues” écrivait Raskin “Vous pouvez promettre que le cercle aura une forme fermée, mais pas beaucoup plus. Vous ne pouvez pas non plus garantir que les caractères seront lisibles. Dès lors, un système prévisible, qui puisse être documenté, doit être entièrement sous le contrôle d'Apple.” Le LISA avec son principe de tout-en-un correspondait à cette volonté d'avoir une machine qui ne serait pas soumise aux aléas des périphériques ou écrans qui lui seraient raccordés.
Plus loin, Raskin insiste sur la nécessité de s'en tenir à un volume de mémoire imposé “Un autre concept est celui du 'Think small'. Nous n'avons même pas commencé à atteindre les limites de ce qui est faisable avec 64 Ko de RAM et un unique support de stockage. Il est important de s'en tenir à ces limitations afin que le projet ne prenne pas une ampleur énorme, longue et coûteuse”
Il y avait aussi la volonté de partager les ressources entre les différents projets - Apple II/III, LISA et Macintosh - qui devraient utiliser le même processeur, ainsi le développement du Macintosh en serait accéléré et l'expérience logicielle acquise pourrait être réutilisée.
Aujourd'hui on peut voir ce principe - somme toute, plein de bon sens - appliqué à la famille iOS. iPhone, iPod touch et iPad sont trois familles distinctes, avec un public et des usages différents, mais qui partagent des fondations matérielles et logicielles identiques, apportant une cohérence dans leur utilisation pour l'utilisateur. Sans parler de Mac OS X Lion qui va prolonger une part de l'expérience utilisateur d'iOS.
“La société envisage de standardiser le design du clavier pour nombre de produits actuels et à venir - ce qui, sur le long terme, se révélera efficace à de nombreux points de vue tels que le coût, l'adoption par l'utilisateur, la simplicité pour en rédiger les documentations et une uniformité dans la conception de logiciels”.
Cette uniformité, gage de simplicité, figurait à nouveau dans la conclusion de Raskin “Macintosh est conçu comme une fondation stable pour notre ligne de produits d'entrée de gamme. En limitant ses capacités d'extension, nous aurons un produit qui sera libre de se développer vers les sommets de nouveaux marchés de masse - pour lesquels il est essentiel que chaque Mac soit identique (le secret du marketing de masse pour le logiciel est d'avoir une base matérielle et logicielle très large et extrêmement uniforme).”
Plusieurs années plus tard ces principes auront été allègrement violés. Le Macintosh a pris plusieurs formes, les bus d'extension internes se sont développés, on se souviendra aussi du Macintosh II, qui affirma cette notion de machine évolutive pour mieux se distinguer de ses prédécesseurs.
Au retour de Jobs, un vaste ménage fut effectué dans la gamme qui présentait un nombre incroyable de configurations et de designs, avec au final un carré organisé autour de quatre familles, qui depuis ont évolué, mais restent assez contenues dans leur diversité.
C'est toutefois la gamme iOS, avec son écosystème logiciel et commercial fermé et qui correspond peut-être le plus à la vision de Raskin. La diversité s'y exprime pleinement par un foisonnement logiciel, mais sur des plateformes matérielles très encadrées.
image : andyapple2