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Michael Scott et les débuts d'Apple

Anthony Nelzin-Santos

vendredi 27 mai 2011 à 20:18 • 26

AAPL

Qui se souvient de Michael Scott, le premier PDG d'Apple (rien à voir avec le personnage campé par Steve Carrell dans The Office) ? C'est Mike Markkula, investisseur dans Apple, qui le recrute en janvier 1977, alors que ni Steve Jobs ni Steve Wozniak ne sont suffisamment expérimentés pour être PDG et attirer les capitaux. Quatre ans plus tard, il part avec pertes et fracas. SAI a obtenu une interview de ce personnage méconnu dont nous vous proposons quelques extraits.

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Michael Scott à son bureau chez Apple, 1977, © Xtimeline


L'employé numéro 007
Armas Clifford Markkula et Michael Scott sont amis de longue date : nés à un an d'écart, ils ont tous deux débuté leur carrière en 1967-1968 chez Fairchild Semiconductor. « Il voulait le surnom "Mike", donc j'ai eu le surnom "Scotty" » se rappelle Scott.

Cinq ans plus tard, Markkula part chez Intel, alors que Scott part chez National Semiconductor : « nous sommes toujours restés en contact parce que nous prenions un repas ensemble pour nos anniversaires ». Mike Markkula prend sa retraite à 32 ans, en 1974, après avoir encaissé pour plusieurs millions de dollars de stocks options. En 1976 cependant, il se laisse charmer par Steve Jobs, qui a besoin d'une « caution adulte » et d'un « business angel », quelqu'un qui puisse amorcer la pompe et attirer les capitaux tout en conseillant les deux Steve.

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Mike Markkula et Steve Jobs, © Digibarn


Markkula va se laisser tenter : il fait l'acquisition des parts de Ronald Wayne, qui détient 10 % du capital d'Apple Computer, Inc., fondée le 1er avril 1976 (lire : Apple : 35 ans !). Il co-signe un prêt de 250 000 $, et joint Steve Jobs et Steve Wozniak dans la deuxième incorporation d'Apple, le 3 janvier 1977. Il va même aller un peu plus loin : non content de mettre de l'argent dans la société et d'attirer d'autres investisseurs, il conseille à Wozniak d'équiper l'Apple II d'un lecteur de disquettes, et écrit plusieurs programmes pour cette machine sous le pseudonyme de John Appleseed. Intéressé par les aspects marketing, Markkula se met à la recherche d'un PDG pour Apple, quelqu'un chargé des affaires courantes : il pense naturellement à Michael "Scotty" Scott.

« Je n'ai jamais vu le garage, je l'ai simplement vu de chez Markkula sur les hauteurs. Jobs était l'orateur, Woz le silencieux, mais il a par la suite trouvé sa voix. » raconte celui qui est devenu le premier PDG d'Apple en janvier 1977. Il est alors chargé des tâches quotidiennes les plus ingrates : « j'avais à faire ce que personne ne voulait faire ». Comme l'ouverture d'un compte en banque et l'assignation des numéros d'employés, étape cruciale pour la mise en place d'un système de paie — bref, il a mis la société Apple sur les rails.

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Là où tout a commencé : le garage de la maison des Jobs sur Crist Drive, à Los Altos.


Bien qu'il soit techniquement le cinquième employé d'Apple, il s'est réservé le numéro 7 : « je voulais le numéro 7. […] C'était 007, une blague, bien sûr ». Le cas le plus épineux a été celui du numéro 1 : « bien sûr, les deux Steve voulaient le numéro 1. Je savais que je ne voulais pas le donner à Jobs parce que ce serait trop. ». C'est finalement Steve Wozniak qui a reçu le numéro 001, Scott n'apportant pas de réponse au débat sur le numéro assigné à Steve Jobs, 000 ou 002. Mike Markkula est le numéro 003, Bill Fernandez (le premier employé d'Apple) le numéro 004, Rod Holt (le développeur de l'alimentation de l'Apple II) le 005, Randy Widdington (le concepteur du BASIC de l'Apple II) le 006, Chris Espinoza (le gamin de 14 ans encore aujourd'hui chez Apple) le 008, Sherry Livingston (la secrétaire et petite main) le 009, tandis que le 010 échut à Gary Martin, le premier comptable d'Apple.

Les débuts d'Apple
« J'ai vu [la proposition de Mike Markkula] comme une occasion » explique Scott : manager chez National Semiconductor, il était alors las de la hiérarchie complexe et des circonvolutions dans la société. « Lorsque Markkula m'a demandé si je voulais fonder une nouvelle société, je l'ai vu comme une chance de dire tout ce que je n'avais pas aimé chez Fairchild et National, trouver un moyen de gérer une société et apprendre de tout cela ».

Le principal rôle du spécialiste qu'est Scott va être d'organiser la société de la manière la plus simple, la plus efficace et la plus flexible possible, sans comités ni bureaucratie. Une politique issue du rejet des cadres traditionnels de Fairchild et National qui persiste encore, d'une certaine manière, aujourd'hui (lire : A l'intérieur de la ruche Apple).

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Le badge employé de Chris Espinosa, 1977, © Chris Espinosa


En tant que PDG, il a aussi été l'arbitre entre les différentes personnalités à la tête d'Apple, des aspects les plus triviaux aux décisions les plus stratégiques. « L'autre dispute lors des réunions était que Steve [Jobs] mettait ses pieds et ses sandales sales sur la table […] alors qu'à l'autre bout de la table, Markkula fumait cigarette sur cigarette. Il nous a fallu mettre des systèmes de filtration […] Il y avait les fumeurs d'un côté et les gens aux pieds sales de l'autre. (Rires) ».

Il fallait parfois composer avec l'ego des deux Steve et de Mike, à un moment fait aussi bien d'échecs (Apple I, Apple III, Lisa) que de succès (Apple II, entrée en bourse). Le tempérament de Steve Jobs de l'époque, comme d'autres détails sur la société, sont devenus légendaires : « beaucoup de choses sur Apple sont toujours une sorte de mythe mêlé à un morceau d'histoire, mais vous ne pouvez pas revenir en arrière et changer la perception des gens. » Le mythe d'Apple comme start-up flamboyante masque la réalité des journées de 20 heures et des compromis permanents.

« Si nous devions négocier le tarif de composants [et que nous nous entendions sur un prix…] à la dernière minute, Steve pouvait entrer, frapper du poing sur la table et demander une réduction d'un centime de plus. Bien sûr, ils acceptaient de lui offrir ce centime de plus. Il se gaussait alors de nous : "je vois que vous n'avez pas fait correctement votre travail puisque j'ai pu obtenir un meilleur prix ». Scott note néanmoins que ce caractère à l'emporte-pièce avait ses défauts comme ses qualités : « Steve veut juste être Steve. Steve ne s'est jamais caché de ses ambitions et de ses idées. Il est vraiment très direct, contrairement à d'autres qui ne vous diraient pas ce qu'ils pensent vraiment. »

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En ces premières années d'Apple, la société a une croissance extraordinaire : « pendant quatre ou cinq ans, Apple doublait en taille tous les trois mois. […] Entre notre quatrième et notre cinquième année, nous sommes passés de 500 à 1 500 employés ». La principale préoccupation de Scott est d'accompagner cette croissance sans pour autant diverger de sa vision d'une société rationnelle : « Il nous fallait recruter des intérimaires [puis payer pour les titulariser] parce que nous ne pouvions pas embaucher suffisamment rapidement. Vous faites ce que vous devez faire. […] Vous n'avez pas le choix. Vous devez rester à flots. Une fois que vous êtes suffisamment gros, il y a un plateau et plus de place pour l'inefficacité ».

Le mercredi noir
Cette obsession de la rationalisation d'Apple va coûter sa place à Michael Scott. Alors que la croissance de la firme de Cupertino est exponentielle, que l'Apple II est un énorme succès et que plusieurs projets concurrents se développent en interne, Scott réorganise la société à plusieurs reprises, annulant même le projet Macintosh de Jef Raskin à l'automne 1980 — il faudra toute la minutie de Mike Markkula pour le préserver, avant que Steve Jobs ne s'y intéresse de près.

Le mercredi 25 février 1981, Michael Scott va trop loin : il renvoie personnellement 40 employés d'Apple, dont la moitié de l'équipe Apple II, l'ordinateur star de la gamme. Ce mercredi noir est une véritable surprise pour les salariés. Lors d'une réunion informelle dans l'après-midi qu'il oublie de rappeler dans son interview, Scott montre à quelles extrémités sa marotte l'a poussé : « j'avais pour habitude de dire que quand je ne m'amuserais plus à la tête d'Apple, je démissionnerais. J'ai changé d'avis depuis : si ce n'est plus drôle, alors je virerais des gens jusqu'à m'amuser à nouveau ».

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Le Bandley 3 au 10460 Bandley Drive. C'est ici que la division Macintosh prendra sa revanche sur Scott en 1983, © Javworld.


Alors qu'il a promis à sa femme qu'il ne resterait que quatre ans chez Apple, Mike Markkula intervient et devient le nouveau CEO d'Apple : Michael Scott est relégué au titre de président. Le 10 juillet 1981, il démissionne.

Le premier PDG d'Apple
Cette interview de SAI rappelle un chapitre méconnu d'Apple, ces premières années où aux côtés des ingénieurs barbus rêvant de machines toujours plus complexes, des vétérans de l'organisation ont mis sur les rails la société. Un équilibre délicat qui a souvent débouché sur des conflits ouverts, Apple II contre Lisa, Lisa contre Macintosh, Steve Jobs contre le reste de la société.

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Michael Scott aujourd'hui. Après avoir participé à une société lançant des satellites en orbite, il s'intéresse désormais à la minéralogie.


Par bien des aspects, Michael Scott a été un des artisans les plus importants du premier succès d'Apple, de l'Apple II à l'entrée en bourse. Son dogmatisme l'a piégé : à trop rejeter les cadres anciens à la tête d'Apple, il a oublié qu'elle était d'abord et avant tout une société comme les autres.

Aller plus loin
- « An 'Unknown' Co-Founder Leaves After 20 Years of Glory and Turmoil », New York Times, 1er septembre 1997, à propos du rôle de Mike Markkula ;
- Andy Hertzfeld, « Black Wednesday », février 1981, à propos du mercredi noir.

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