Steve Ballmer a annoncé la semaine dernière un bouleversement sans précédent dans l'organisation de Microsoft. Ce « One Microsoft », comme son CEO le nomme, est organisé de façon à ce que les divisions ne s'affrontent plus, mais puissent collaborer efficacement et répondent à une seule et unique stratégie (lire : « One Microsoft » : Steve Ballmer rassemble pour mieux régner).
Les divisions jusque-là éparses laissent place à des entités liées à des fonctions — marketing, R&D, opérationnel, etc. La fondamentale division ingénierie est partagée en quatre : les appareils et les studios ; les applications et les services ; les systèmes d'exploitation ; le cloud et les entreprises.
Les quatre vice-présidents exécutifs à la tête des branches de la division ingénierie...
... et les cinq senior vice-présidents d'Apple responsables des produits.
One Microsoft, Apple bis ?
Pour Adam Lashinsky, journaliste à Fortune, le communiqué de Ballmer à ses employés est « un long hommage à l'Apple que Steve Jobs a recréé entre 1997 et 2011. » « Tous les éléments de cette réorganisation semblent montrer que Ballmer veut que Microsoft se comporte comme Apple », et d'expliquer que l'un des principaux enseignements qu'il a tiré sur Apple au cours de ses cinq années de recherche pour son livre Inside Apple (lire son interview), est son « degré extraordinaire d'organisation par fonctions ».
Selon Lashinsky, aucune autre entreprise de la taille d'Apple n'a l'audace de se structurer de cette façon. « Steve Jobs voulait une Apple, une stratégie, une marque, un message », autant de revendications qui sortent maintenant de la bouche de Ballmer. De la même manière que la firme de Cupertino a des « DRI » (directly responsible individual, personne directement responsable d'une tâche), Redmond a maintenant des « champions » qui doivent tenir informé Ballmer de l'état du projet dont ils sont responsables. Les budgets publicitaires de Microsoft vont être centralisés, à l'instar de ce qu'a imposé Jobs à son retour.
La structure de Microsoft avant sa réorganisation, et celle d'Apple. Dessin de Manu Cornet
Jean-Louis Gassée, qui a fondé Apple France en 1981, fait remarquer qu'il y a des différences radicales entre la remise sur pieds d'Apple en 1997 et le chamboulement de Microsoft aujourd'hui :
- Il y a 16 ans, Apple était à genoux ;
- Le business d'Apple était extrêmement simple : le Mac ;
- Un cofondateur charismatique faisait son retour en clamant Think Different.
À la suite de ce retour, Apple a lancé l'iPod, les Apple Store, l'iPhone, l'App Store... « Toutes ces nouveautés ont été facilitées par la structure par fonctions de l'entreprise, mais aucune d'entre elles n'a été créée par la réorganisation, explique Gassée. Autrement dit, la structure fonctionnelle est une condition nécessaire, mais qui ne se suffit pas à elle-même. »
La bonne stratégie ?
L'ancien patron d'Apple France doute que cette réorganisation historique puisse soudainement donner la vision et l'agilité que Microsoft n'a pas eu dans les années 2000 lors de l'avènement de l'informatique mobile — ce que Steve Jobs nommait l'« ère post-PC ». De plus, cette restructuration ne change pas le business model de Microsoft qui repose sur la vache à lait Windows + Office. Or, le déclin du PC a débuté et Android semble irrésistible sur les smartphones et les tablettes. Et Gassée de décrire une spirale négative où l'effondrement des ventes de PC entraînerait une chute d'Office puis d'Exchange et de Windows Server.
L'analyste Benedict Evans a dressé un graphique éloquent sur l'évolution de Microsoft sur le marché des appareils connectés. D'une position hégémonique en 2009, l'entreprise a dégringolé très lourdement pour ne représenter plus que 25 % des ventes d'appareils connectés en ce début d'année. Non seulement Redmond est très en retrait sur les smartphones et les tablettes, mais en plus Google l'attaque sur les ordinateurs portables. Les Chromebooks connaissent un succès grandissant aux États-Unis et les constructeurs s'intéressent de plus en plus sérieusement à ces machines (lire : Chromebook : le nouveau pari des constructeurs de PC).
Pour BusinessWeek, « cette dernière réorganisation ne fonctionnera que si Ballmer et ses équipes peuvent vendre aux clients l’idée de vivre dans un "monde tout Microsoft". » Une stratégie jugée dangereuse par Louis Naugès, entrepreneur et professeur : « les clients, entreprises et grand public, ont clairement démontré depuis plusieurs années, par leurs achats, qu’ils n’ont plus aucune envie de vivre dans un monde monofournisseur, quel qu’il soit ».
One Direction
La direction que prend Microsoft — fabriquer ses propres appareils, bâtir un écosystème plus cohérent et plus fermé —, peut-elle fonctionner ? Il faudra attendre encore plusieurs mois pour observer les premiers résultats concrets de cette réorganisation. Mais pour Louis Naugès, l'entreprise va droit dans le mur en allant dans ce sens. Il prend l'exemple d'Internet Explorer qui a fait des progrès considérables ces dernières années, mais qui a vu sa part de marché se réduire comme peau de chagrin car réservé à Windows, entre autres raisons. Pendant ce temps-là, Google a imposé Chrome et est en train d'en faire un OS dans l'OS.
Microsoft peut-elle encore compter sur les marchés initiés par Apple en s'inspirant d'elle ? C'est le pari de Steve Ballmer, qui affirme son rôle de patron et qui joue peut-être là sa dernière carte.
Le long communiqué de Ballmer vu par Joy of Tech
Photo : Steve Ballmer au CES 2009, par JD Lasica/Socialmedia.biz CC