« Il est hors de question que cette affaire se règle sans une remise à plat complète du modèle de licence que Qualcomm a adapté à cette industrie ». Interviewé par Bloomberg deux semaines avant l'annonce des nouveaux iPhone, Bruce Sewell, le vice-président des affaires juridiques d'Apple laisse clairement entendre que la Pomme ne capitulera pas sur ses revendications.
Les nouveaux iPhone 8 sont toujours équipés de modems Qualcomm (en plus de deux d'Intel depuis l'année dernière) et l'Apple Watch LTE utilise elle-aussi une puce de ce fournisseur, la même qui équipait les iPhone 6s. Intel n'étant pas encore en mesure de proposer des modems du niveau de performances de son concurrent, Apple ne peut se permettre pour le moment de complètement changer de monture.
Pourtant elle mène la charge depuis le début de l'année contre son indispensable fournisseur, au motif que le mode de calcul des royalties à payer pour ses inventions n'a plus de sens.
Qualcomm dispose d'une masse de 130 000 brevets dont certains définissent des éléments clefs pour la communication sur réseaux mobiles. Fort de ce trésor, il fait payer à ses clients jusqu'à 5 % du prix de vente moyen de leurs téléphones. Ce qui en amène certains à lui reverser 30 $ par téléphone vendu. Plus le téléphone est cher, et ceux d'Apple le sont, plus la facture est salée.
Apple a su convaincre par le passé Qualcomm de diviser ce prix par trois (d'après les estimations de spécialistes). En échange, la Pomme ne devait pas tenter de remettre en question les brevets de son fournisseur ou d'encourager les instances de régulation nationales à enquêter sur ses pratiques. Ce qu'Apple pouvait faire en revanche, c'est répondre aux questions posées par de tels organismes.
Qualcomm accuse ainsi Apple d'avoir demandé à Samsung de faire pression sur les autorités sud-coréennes afin qu'elle déclenchent une enquête sur Qualcomm dans ce pays. Cette discussion aurait eu lieu il y a deux ans entre Tim Cook et Jay Y. Lee lors de la conférence Sun Valley dans l'Idaho où se rendent presque à chaque fois une partie des dirigeants d'Apple.
Bruce Sewell conteste cette interprétation des propos tenus entre les patrons d'Apple et de Samsung. Reste qu'après enquête, les autorités de la concurrence sud-coréennes ont infligé en décembre dernier à Qualcomm une amende de 854 millions de dollars. Apple avait été citée comme témoin, au même titre que Samsung, MediaTek ou Intel. D'autres enquêtes du même ordre sont encore ouvertes aux États-Unis et en Europe.
Apple et Qualcomm s'opposent sur leur manière de juger l'importance des modems contenus dans les smartphones. Chez Qualcomm, le vice-président en charge des technologies, Matt Grob, fait observer que tous les mois on paie « grosso modo la même chose aujourd'hui qu'il y a 20 ans alors qu'on fait transiter des millions de fois plus de données ». La preuve, selon lui, de l'ingéniosité technique mise en œuvre dans les systèmes de télécommunication modernes.
Steve Mollenkopf, le patron de Qualcomm, abonde en soulignant le caractère incontournable de son entreprise « Je ne vois pas une seule chose que vous puissiez faire sur votre téléphone qui ne soit pas permise par une invention de Qualcomm ». Et d'insister sur le fait que la mise à disposition des technologies les plus essentielle selon les règles FRAND permettent à un nouvel acteur sur le marché du smartphone de tout de suite mettre le pied à l'étrier. Même s'il s'agit d'une entreprise microscopique comme Essential, celle d'Andy Rubin, avec ses 100 employés. Leur nouveau et premier téléphone, sur le plan des communications, n'est pas moins bon que ceux de ses concurrents bien installés.
Bruce Sewell offre un point de vue radicalement différent. Devant Bloomberg il montre une puce Qualcomm, de la taille d'un ongle « Cette chose est vendue 18 $ » (Qualcomm accorde des licences de fabrication à des tiers) sans compter les 5% de royalties à ajouter ensuite pour chaque iPhone vendu.
Autrefois maître en son domaine, Qualcomm a vu poindre la concurrence d'Intel et Apple a sauté sur l'occasion de diversifier ses sources d'approvisionnement. Et tant pis si elle doit limiter artificiellement les performances des modems Qualcomm utilisés dans les iPhone qui en ont pour qu'ils ne fassent pas ouvertement mieux que les iPhone équipés par Intel.
Ne dépendant plus entièrement de Qualcomm, Apple a décidé de contester les conditions de son contrat, explique Bruce Sewell. Pour lui, l'importance du modem dans un téléphone n'est plus ce qu'elle était il y a quelques années. Si la connexion au réseau cellulaire tombe, on peut toujours se rabattre temporairement sur le Wi-Fi.
Autre grief : le mode de calcul de Qualcomm. Sewell donne l'exemple de deux iPhone 7, l'un vendu 750 $ a 128 Go de stockage, l'autre vendu 100 $ de plus a 256 Go. Deux téléphones intrinsèquement identiques. Pourtant, Qualcomm percevra plus de royalties sur le 256 Go que sur le 128 Go et sans même que sa puce modem n'entre en jeu.
D'où la demande d'Apple d'avoir un calcul qui se base uniquement sur le coût du composant modem et non sur le prix du téléphone tout entier. D'après Sewell, Apple ne devrait pas avoir à payer plus de 4 $ par téléphone.
Matt Grob voit les choses sous un angle opposé. Que ce soit pour le son, la compression vidéo, la réalité augmentée et tous ces domaines dans lesquels Qualcomm investit aujourd'hui, la partie communication demeure cruciale « Quelle est la première chose que vous faites à votre descente d'avion ? Vous désactivez le mode avion », et d'ajouter que même cela, ce mode avion, Qualcomm en possède le brevet.
Plaisanterie à part, la situation paraît bloquée entre les deux parties. Le patron de Qualcomm se montrait philosophe il y a quelques semaines en estimant que cela se finirait par une négociation en marge des tribunaux. Ce qui n'a pas empêché son groupe de souffrir financièrement d'un blocage des paiements par Apple (lire Le bénéfice de Qualcomm plombé par Apple, BlackBerry et la Corée). Un autre acteur, peut-être Huawei, aurait suivi l'exemple d'Apple et cessé lui aussi de reverser ses royalties, c'est du moins ce qu'indiquait Qualcomm lors de ses derniers résultats.
L'épreuve de force n'est pas terminée pour Qualcomm, elle se mène sur plusieurs fronts, de Bruxelles à Cupertino en passant par la Chine.