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Une pomme plus verte : Apple recycle et réutilise, mais peut-elle réduire ?

Anthony Nelzin-Santos

Thursday 22 April 2021 à 12:40 • 31

AAPL

« Notre entreprise est neutre en carbone », clame fièrement Apple, et « d’ici 2030, tous nos produits le seront aussi ». Un objectif ambitieux, salué par un Prix de l’action climatique mondiale de l’Organisation des Nations unies en 2019. Mais la pomme est-elle vraiment verte ? Les rangs serrés de panneaux photovoltaïques projettent l’image d’une conversion aussi ordonnée que le lancement d’un nouvel iPhone. En fouillant les poubelles à la lumière des « trois R », les choses apparaissent nettement moins claires.

Par une ironie mordante, la page « Environnement » du site d’Apple pèse 8,38 Mo, soit quatre fois le poids d’une page web moyenne (selon HTTP Archive). Chaque visite sur cette page entraine l’émission d’environ 1,10 g de CO2 (selon Website Carbon Calculator).

Recycler : c’est bien parti

Des « trois R » qui forment le triptyque de la gestion des déchets, celui de « recycler » est le plus connu. Sous la pression de Greenpeace, Apple s’est convertie à l’écologie au début des années 2010 et a précédé la législation en matière d’élimination des substances toxiques. Sous la houlette de Lisa Jackson, administratrice de l’Agence américaine de la protection de l’environnement devenue vice-présidente d’Apple en charge des initiatives environnementales et sociales, le vilain petit canard est devenu un magnifique cygne entrainant toute l’industrie dans son sillage.

Après de premières études d’impact en 2014, Apple s’est lancée depuis quatre ans dans une démarche visant à réorienter sa chaine logistique vers des matériaux entièrement recyclés ou renouvelables. Avec l’aide de l’institut allemand Öko, elle a construit une méthodologie pour juger ses approvisionnements à l’aune de « profils d’impact des matériaux ». Initialement concentrée sur les risques systémiques1, elle fait maintenant figurer les risques environnementaux en bonne place :

  • le risque de rejet de matières polluantes ou dangereuses dans l’environnement ;
  • l’utilisation de produits chimiques dangereux dans la production : Apple a proscrit l’utilisation du benzène (cancérigène) et du n-hexane (toxique) ;
  • l’intensité carbone et d’utilisation de l’eau du matériau : les fournisseurs d’Apple ont économisé plus de 28 milliards de litres d’eau en 2018 ;
  • la capacité de recycler le matériau après son utilisation dans des appareils électroniques : dans les circuits imprimés, Apple a remplacé le tungstène (peu recyclé) par le ruthénium (plus recyclé).

Avec l’apport des contributions de la Dragonfly Initiative, par ailleurs partenaire de Fairphone, et des travaux de Drive Sustainability et de la Responsable Mineral Initiative, ces profils se sont parés d’un volet social. Le travail forcé et infantile, ou le rôle des filières de production dans la corruption et les conflits locaux, sont pris en compte. Depuis maintenant dix ans, Apple est en pointe dans le combat contre les « matières premières de la honte ».

Daisy, le robot recycleur d'Apple. Image Apple.

Avec cette grille d’analyse, la firme de Cupertino évalue et réévalue 45 matériaux. À l’exception du silicium et de l’aluminium, et encore, aucun matériau n’excelle sur tous les points. Les plus courants et les moins polluants proviennent souvent de filières problématiques, et à l’exception du zirconium et du bore, les matériaux qui ont les mains propres sont aussi les plus rares et les plus polluants.

Apple identifie quatorze matériaux « pour lesquels il conviendrait de passer en priorité à des sources » recyclées (acier, aluminium, cobalt, cuivre, étain, lithium, or, tantale, tungstène, zinc, néodyme, praséodyme, dysprosium, verre) ou renouvelables (papier, plastique). La firme de Cupertino structure l’industrie, et ses progrès bénéficient… à ses concurrents.

Ainsi, elle a participé à la conception d’une nouvelle méthode de fabrication moins polluante de l’aluminium, en partenariat avec les géants du domaine Alcoa et Rio Tinto. Les aimants du Taptic Engine sont maintenant fabriqués dans un néodyme entièrement recyclé. Et alors que l’industrie assurait que c’était impossible, elle utilise maintenant de l’étain recyclé pour souder les composants sur les cartes mères.

Ces efforts ne portent pas uniquement sur les produits, mais aussi sur leurs emballages. Vous l’avez peut-être remarqué : les mousses ont été remplacées par des alvéoles cartonnées, les films en plastique par des feuilles de papier, et les sacs en plastique par des pochons en tissu recyclé. Depuis 2015, Apple a réduit de 58 % la part du plastique dans ses emballages, et depuis 2017, elle utilise uniquement des fibres de bois provenant de matériaux recyclés ou de filières responsables.

Réutiliser : des objectifs ambitieux

Dans une industrie qui continue à croitre, le recyclage — qui implique toujours l’extraction de matières vierges — ne suffit plus. C’est alors que le deuxième R, celui de « réutiliser », entre en scène. Avec son réseau de boutiques et ses partenaires locaux, comme Syncreon aux Pays-Bas, Apple vise à boucler la boucle. En collectant les appareils parvenus à la fin de leur cycle de vie, elle peut récupérer leurs composants et leurs matériaux pour fabriquer de nouveaux appareils, dans un circuit circulaire.

Au cœur de sa plateforme logistique texane à Austin, Apple développe des systèmes de récupération et de démantèlement. Le robot Daisy peut démonter et trier les composants d’une quinzaine de modèles d’iPhone. Son compagnon Dave s’attache ensuite à récupérer les terres dites rares, le tungstène, et l’acier. À raison de 200 appareils par heure, Daisy peut traiter un peu plus de 1,75 million d’iPhone par an. Mais Apple produit plus de 200 millions de téléphones par an, et seuls deux robots sont en service, l’un aux États-Unis et l’autre aux Pays-Bas.

« Le robot Daisy a un impact extrêmement limité sur le recyclage », explique Bela Loto Hiffler, fondatrice de la Maison de l’informatique responsable et autrice du guide Les éco-gestes informatiques au quotidien publié par l’Ademe. « Un smartphone contient une cinquantaine de métaux », mais certains ne peuvent être recyclés qu’à hauteur d’un pour cent : « ces métaux […] en alliage et dispersifs sont difficiles à récupérer, et perdent de leurs propriétés au recyclage. »

Moins de 20 % des 50 millions de tonnes de déchets produits par l’industrie électronique sont recyclés. Apple ne fait pas beaucoup mieux, mais se démène. Son programme de location aux États-Unis, et de reprise ailleurs, vise à vider les tiroirs. Malgré des offres peu attractives, la firme de Cupertino a repris plus de 8 millions d’appareils en 2019. Mais elle tâche surtout de prévenir la création de déchets avant même que les produits ne quittent l’usine.

Image Apple/MacGeneration.

Grâce au programme « Zero Waste to Landfill », tous les sites de production chinois et les principaux fournisseurs d’Apple ont évité la mise en décharge d’un million de tonnes de déchets en trois ans. Lorsqu’ils ne sont pas réutilisés ou recyclés, ces déchets ont été compostés ou convertis en énergie. Depuis plus d’une décennie, Tim Cook cherche surtout à réduire le gâchis de matières premières lors de la fabrication des appareils.

Sur le modèle des claviers, taillés dans les chutes du châssis de l’iMac, Apple réutilise les recoupes et les copeaux pour fabriquer de nouveaux appareils. Cette pratique a pris une telle importance que la firme de Cupertino emploie des métallurgistes, qui ont conçu des alliages d’aluminium adaptés, et travaillent à l’amélioration des processus de retraitement.

Les chutes de la production de l’iPhone et de l’iPad, une fois recyclées, forment les boitiers de l’Apple Watch, de l’iPad et de l’iPad Air 4, ou encore du MacBook Air et du Mac mini. Apple affiche une ambition folle, celle de fonctionner en circuit fermé, et d’utiliser les matériaux des anciens produits pour fabriquer les nouveaux. Elle en convient volontiers, elle n’y arrivera probablement pas dans les prochaines années, et peut-être jamais.

Surtout, avant d’être réincarné sous la forme d’un MacBook Air ou d’une Apple Watch, un iPhone peut vivre une deuxième vie. Apple a reconnu la popularité du reconditionnement en acceptant de prendre en charge les batteries tierces, et trouvé un compromis entre le contrôle des composants et le droit à la réparation avec son programme de « réparateur indépendant ».

Réduire : l’angle mort de l’approche d’Apple

Reste que la conception toujours plus intégrée des appareils réduit l’étendue des réparations, complique la réutilisation des composants par les reconditionneurs, et limite directement la durée de vie des produits. Or le troisième R est aussi le plus important : réduire la production de déchets, c’est repousser le problème de la réutilisation, et donc celui du recyclage.

Bon an mal an, Apple vend plus de 20 millions de Mac, plus de 50 millions d’iPad, et plus de 200 millions d’iPhone. Des appareils toujours moins réparables, dont le seul consommable est aussi le moins recyclé, la batterie au lithium2. Pire : les best-sellers que sont l’Apple Watch et les AirPods sont des appareils tout-en-un prêts à jeter.

Certes, Apple assure la maintenance logicielle des Mac pendant huit ans en moyenne, et celle des iPhone et des iPad pendant six ans en moyenne. Mais dès que les mises à jour cessent, le web et les services sont de puissants facteurs d’obsolescence fonctionnelle. Or Apple mise sa future croissance sur le développement des services.

Un parc d'éoliennes financé par Apple en Chine. Image Apple.

Malgré l’ouverture de nouveaux centres de données pour soutenir cette activité, Apple dit avoir réduit son empreinte carbone totale de 35 % depuis 2015. La firme de Cupertino veut atteindre la neutralité carbone sur l’ensemble de ses activités d’ici à 2030. Alors qu’elle ne représente que 15 % pour un iPhone 12 Pro3, la part des usages dans les émissions sur le cycle de vie d’un produit va mécaniquement augmenter.

Apple rejette donc les efforts de réduction sur ses clients, mais ce n’est pas demain la veille qu’on la verra militer pour une réduction des usages des services. Malgré de vagues promesses de mesures de compensation carbone, dont on connait la fragilité, ce troisième R montre les limites du verdissement de la pomme.


  1. Principalement les risques liés à la situation géopolitique des pays concentrant la production ou les réserves de matériaux, l’existence de solutions de remplacement en cas d’épuisement ou de rupture des chaines d’approvisionnement, et la capacité de recycler les matériaux pour diminuer l’importance (des soubresauts) de l’exploitation de matières « vierges ».  ↩︎

  2. Même s’il faut saluer les efforts d’Apple, qui a mis sur pied une filière intégrée de collecte et de traitement, et travaille à la récupération du cobalt.  ↩︎

  3. Jusqu’à 67 % pour un ordinateur de bureau gourmand comme le Mac Pro, 45 % pour l’iMac, 20 % pour le MacBook Pro 16", mais seulement 6 % pour l’iPad Pro 12,9".  ↩︎

Source : Image de une Apple

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