Paramount a annoncé récemment que La Légende de Ron Burgundy 2 serait son dernier nouveau film à être diffusé dans les cinémas sous forme de film argentique de 35 mm. Dorénavant, tous les films du studio d’Hollywood le seront sous forme numérique.
Les cinémas outre-Atlantique qui ne sont pas équipés en salles numériques sont désormais minoritaires avec 8 % des installations. Le coût inférieur à une diffusion sur film est la raison principale qui a poussé 92 % des 40 450 salles de cinéma que comptent les USA à adopter ce système de diffusion numérique, avec le « film » stocké sous forme de données dans un disque dur.
La deuxième raison est la possibilité que laissent ces installations numériques de passer des films 3D, dont la place est souvent vendue plus cher. Elles facilitent les possibilités de réserver des places et de planifier les films et publicités projetés.
De plus en plus de cinémas, par ailleurs, se laissent tenter par une distribution qui réduit encore plus les coûts : la diffusion par satellite. Le film est téléchargé directement via une antenne satellite et une installation sécurisée. Le coût passe alors de 2 000 $ pour une copie sur film de 35 mm à 100 $.
Il va y avoir bien entendu le « chœur des vierges » pour clamer sur tous les tons et dans tous les forums que le cinéma numérique n’a rien à voir avec les « films d’antan », que la lumière, le grain de la pellicule, les bruits du vieux projecteur… entraînent chez le mystique ascéto-celluloïdé des sensations proches de l’orgasme… Bref, que rien ne va plus et qu’un pan entier de la culture cinématographique vient de s’écrouler…
Mais on trouve tout de même des défenseurs de la qualité du numérique parmi les vieux de la vieille. Ainsi, le réalisateur Ron Fricke et le producteur Mark Magidson ont hésité entre diffusion traditionnelle et diffusion numérique pour leur film Samsara. Après avoir comparé les deux versions, ils estiment que la projection numérique (Digital Cinema Package ou DCP) offre une qualité supérieure à celle du film traditionnel argentique 70 mm. Ils ont numérisé en très haute définition les négatifs des films en 70 mm provenant d’une caméra datant d’une cinquantaine d’années.
Paramount a donc été le premier studio à franchir la ligne jaune. Beaucoup de ses concurrents attendaient que l’un d’entre eux fasse le premier pas afin de ne pas rester dans l’histoire comme le studio hollywoodien qui avait enterré des décennies de cinéma sur pellicule argentique au profit du numérique. Les autres studios devraient rapidement s’engouffrer à leur tour dans la brèche, car le passage au numérique est également synonyme d’économies sérieuses pour les studios. Un film qui sort dans 3 000 salles doit être dupliqué 3 000 fois. Le coût de la duplication est important, car la qualité doit être excellente. Les 3/5e de ces « Prints » (ou copie de projection) seront mis au rebut, car même si le film ressort plus tard, il ne le sera jamais dans autant de salles que lors de sa sortie initiale. Chaque copie correspond à 3,21 kilomètres de pellicules comportant produits chimiques et métaux précieux qui seront inutilement gaspillés. Un « Print » peut coûter de plusieurs centaines à plusieurs milliers de dollars.
Aux USA, les studios ont passé un accord avec les réseaux de salles de cinéma il y a quelques années pour les aider à s’équiper pour une diffusion numérique des œuvres. Fox, Sony, Universal, Warner Brothers et Paramount se sont mis d’accord avec les grands réseaux de cinémas américains tels Regal, Cinemark ou AMC, pour développer un format qui permette une distribution uniformisée des œuvres cinématographiques. Un programme appelé Virtual Print Fees (VPF) permet aux salles le signant de toucher une espèce de subvention des studios hollywoodiens. A chaque fois qu’une salle diffuse un film sous sa forme numérique, elle reçoit 1 000 dollars. Ce programme a permis de convaincre les propriétaires des grandes salles de s’équiper rapidement.
Cependant, les petits cinés indépendants qui n’ont pas les moyens de s‘équiper en diffusion numérique vont être les laissés pour compte de l’histoire. Les cinémas de quartier, ceux qui passent autre chose que des films d’Hollywood à base de filles à gros poumons, course-poursuite en voitures, zombies iconoclastes et balaizes à gros flingues, risquent d’être obligés de fermer porte au fur et à mesure que les nouveaux films ne seront plus proposés que sous forme numérique… Ou ils devront se contenter des films déjà sortis, des rétrospectives et des films d’indépendants tournés à la GoPro ou en Super 8…