150 millions d'euros, c'est la note que l'Autorité de la concurrence a présenté à Google pour abus de position dominante, après avoir adopté « des règles de fonctionnement de sa plateforme publicitaire Google Ads opaques et difficilement compréhensibles et en les appliquant de manière inéquitable et aléatoire ».
Outre cette sanction qui touche au porte-monnaie, Google devra clarifier les règles à destination des clients qui utilisent son moteur pour publier leurs annonces et améliorer la formation des équipes de sa régie pub. Pour un service dont la mission auto-proclamée est « d'organiser toute l'information », les constats de l'Autorité de la concurrence témoignent d'un sérieux déficit dans l'organisation et la circulation de l'info au sein des équipes de Google Ads.
L'origine de cette sanction pécuniaire remonte à une plainte déposée en 2015 par la société Gibmedia, éditrice de sites de météo et d'informations sur les sociétés. Elle reprochait à Google d'avoir suspendu sans préavis son compte Google Ads, qui lui servait à diffuser ses publicités au travers des résultats de recherche.
Au fil de son instruction et en observant d'autres cas, l'Autorité s'est aperçue que les règles de fonctionnement de Google Ads, auxquelles sont astreints les annonceurs, étaient parfois appliquées de manière « confuses » ou « incohérentes ».
« La finalité de certaines d’entre elles est de protéger l’internaute afin qu’il ne soit pas exposé à des annonces le renvoyant vers des sites pouvant porter atteinte à ses intérêts. » rappelle l'Autorité. Cependant il est arrivé que des services en ligne soient exclus du programme Google Ads alors que d'autres, guère différents dans leurs propositions, étaient maintenus voire même assistés par les équipes de Google pour gagner en visibilité dans les résultats. Des prestations que Google facture bien évidemment.
Une même société éditant plusieurs services pouvait voir l'un d'entre eux banni et l'autre maintenu. Un jour Google assistera une société pour renforcer sa présence en ligne et, sans que ce client n'ait changé quoi que ce soit à son modèle économique, il verra son compte Google Ads sucré.
À cela ce sont ajoutées des positions contradictoires entre les équipes de Google qui gèrent ces clients et celles, à un échelon supérieur, qui traitent les dossiers épineux. Les unes disaient vert, les autres disaient rouge :
Les équipes d’assistance des annonceurs ont parfois même été jusqu’à mettre les clients qu’ils accompagnaient en risque vis-à-vis des Règles. On peut citer à cet égard le cas d’Amadeus, dont les équipes commerciales de Google ont participé activement à promouvoir ses services sur Google Ads, en participant à la rédaction des annonces et à l’édition de la page d’accueil de son site jusqu’à la fin de l’année 2017. Pourtant, le site sera ensuite suspendu par Google en janvier et juillet 2018 pour non-respect des Règles.
Ces interprétations mouvantes des règles et des changements effectués sans prévenir les premiers intéressés ont été des facteurs de déstabilisation pour des annonceurs. Cela dans un contexte où Google Ads dispose d'une part du marché publicitaire estimée à 80 %. Ce qui laisse peu de chances aux annonceurs de se tourner vers d'autres solutions en cas d'exclusion par Google.
L'Autorité n'a pas décelé dans l'attitude de Google une politique délibérée, elle parle plutôt de « négligence, au pire d’opportunisme », comme par exemple par l'affichage de cette volonté d'écarter les sites douteux, tout en offrant des aides payantes au référencement publicitaire à d'autres sites tout aussi contestables.
Il est reproché en outre à Google d'avoir pu abuser de sa position dominante pour pousser des sites à privilégier un modèle économique basé sur des offres gratuites, soutenues par la publicité, et pour lesquelles Google pouvait ensuite offrir ses services de régie.
À plusieurs reprises Google a été alerté sur « l’importance du respect des règles de concurrence ». En vain. L'Autorité rappelle que des précédents en la matière se sont soldés par de copieuses amendes infligées par la Commission européenne : Google Shopping (2,42 milliards), Android (4,34 milliards) et AdSense (1,49 milliards).
En plus de cette amende, le moteur devra clarifier ses règles ; revoir son processus d'alerte et de traitement de dossiers en cas de manquement à ses règles par un annonceur et il aura pour obligation de dispenser une formation annuelle auprès des équipes de gestion des comptes Google Ads. Diverses obligations de communication auprès de l'Autorité sont aussi prévues.
[MàJ à 17h45] : Google va faire appel de la sanction de l'Autorité de la concurrence. Dans un billet ainsi qu'au travers d'une déclaration, le groupe justifie sa décision à l'égard de Gibmedia qui fut à l'origine de l'enquête ouverte en 2015.
Google affirme également, sans toutefois apporter d'éléments concrets, que les exigences formulées par l'Autorité vont limiter ses possibilités de lutter rapidement et efficacement contre des pratiques trompeuses. Sur les différents problèmes de cohérence et de logique dans l'application des règles de Google Ads, soulevés à l'issue de l'enquête, Google n'apporte pas non plus de réponses.
La réponse officielle de Google :
Nos utilisateurs s'attendent à être protégés contre les publicités trompeuses et c'est à cela que servent nos conditions d'utilisation publicitaires. Gibmedia diffusait des publicités pour des sites Web conduisant les utilisateurs à payer pour des services à des conditions de facturation qui n’étaient pas claires.
Nous ne voulons pas ce genre de publicités sur notre plateforme, c'est pourquoi nous avons suspendu Gibmedia et renoncé aux revenus publicitaires pour protéger nos utilisateurs de conséquences dommageables. Nous ferons appel de cette décision.