Oliver Reichenstein s’est offert un cadeau de Noël : il a déposé un brevet sur, tenez-vous bien, l’« édition de texte dans un éditeur de texte ». Le patron d’Information Architects assure que le contrôle syntaxique de Writer Pro « est une innovation dans le domaine de l’édition de texte » et se félicite de l’avoir « protégé à temps ». À ceci près que ce n’est en rien une innovation et que sa demande de brevet est donc nulle et non avenue : Reichenstein joue à un jeu dangereux qui déstabilise déjà la fragile communauté des développeurs Mac.
Une innovation qui n’en est pas une
Le détail de la demande de brevet formulée par Oliver Reichenstein (№ 61917358) n’étant pas encore disponible, il est encore impossible de juger sa portée exacte. On sait toutefois qu’il porte sur la fonction « Syntax Control » de Writer Pro, qui permet de mettre en valeur les différents éléments d’un texte en les groupant par nature et ainsi d’éliminer des adjectifs ou des adverbes parasites.
Reichenstein aime à la présenter comme une véritable avancée, une révolution même, mais il n’en est rien. Depuis OS X Lion, le système possède une API d’analyse syntaxique, présentée par Apple lors de la WWDC 2011 dans la session 128, « Advanced Text Processing ».
Il a fallu moins d’un quart d’heure à notre développeur Nyx0uf pour créer un prototype d’éditeur de texte doté de cet analyseur syntaxique. Le résultat est sans appel : celui de Writer Pro n’est pas seulement similaire, mais identique. Il fait les mêmes erreurs et a les mêmes caprices, aussi bien en anglais, qu’en français, allemand, italien ou espagnol.
Reichenstein n’a donc rien inventé, il a simplement utilisé une fonction du système, comme n’importe quel autre développeur aurait pu le faire. D’autres applications disposent d’ailleurs d’analyseurs syntaxiques depuis belle lurette — Druide en avait développé pour Antidote Prisme dès 2006 ! Si iA a un mérite, c’est d’avoir intégré un tel outil à un éditeur de texte plutôt qu’à un outil externe.
Un brevet qui ne devrait pas en être un
Pour être valide, un brevet doit couvrir une solution nouvelle, inventive et applicable (lire : Propriété intellectuelle : pour mieux comprendre la chronique judiciaire d’Apple). Reichenstein et ses conseils juridiques ne peuvent l’ignorer, et la demande de brevet № 61917358 couvre sans doute un détail d’implémentation de Syntax Control. Même si on doit avouer avoir bien du mal à voir comment iA va convaincre l’USPTO que son implémentation diffère de celle présentée par Apple en 2011.
Que ce brevet soit finalement recevable ou non, le mal est déjà fait : Reichenstein a foulé aux pieds des années d’antériorité et dévalorisé le travail des nombreux développeurs qui proposent des fonctions similaires depuis des années ou comptaient en proposer une. Il est même allé jusqu’à les menacer publiquement de poursuites judiciaires, armé de ce qui n’est pour le moment qu’une demande sans aucune valeur.
Cette « affaire » ne révèle pas que l’arrogance d’un développeur prêt à bloquer toute une industrie pour défendre une plus-value contestable (et pour le moment inconnue) sur une fonction de base. C’est aussi et surtout un exemple de plus de l’absurdité du système américain de la propriété intellectuelle, qui permet de déposer non plus des mécanismes mais de simples idées, non plus des innovations mais des variations mineures sur un même thème.
Que de gâchis pour un simple éditeur de texte…
Nyx0uf a participé à la réalisation de cet article.
[Mise à jour le 24 décembre à 12h00] Face à la controverse, Intelligent Architects a admis utiliser l'analyseur syntaxique d'OS X comme un « premier pas » vers un système plus évolué. Un système plus évolué qui n'est pas encore intégré à Writer Pro, mais qui est au cœur du brevet déposé par la société nippo-suisse. Son principal intérêt serait sa prise en charge d'autres langues, semble-t-il de manière modulaire.
Une avancée certes, mais bien moins renversante que ce que laissait entendre les supports promotionnels d'Intelligent Architects et le discours d'Oliver Reichenstein. Et qui ne valait sans doute pas la peine de menacer toute une communauté de poursuites — des menaces d'ailleurs retractées face au tollé qu'elles ont provoqué.