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L'iPad, l'échec de Microsoft ?

Arnaud de la Grandière

Monday 28 June 2010 à 17:25 • 67

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Alors qu'Apple égrène ses millions d'iPad vendus mois après mois, on en oublierait presque que l'ardoise magique de Steve Jobs est bien loin d'être la première tentative pour ce format d'ordinateur.

Microsoft innove 9 ans avant Apple

En effet, voilà longtemps que Microsoft a fait son possible pour imposer ce format. En 2001, Bill Gates présentait le format Tablet PC lors du Comdex à Las Vegas, en se fendant même d'une prophétie quant à l'avenir du produit : « Il s'agit d'un PC qui n'a virtuellement aucune limite et d'ici cinq ans je prédis que ça sera la forme de PC la plus populaire vendue en Amérique. »

Les Tablet PC, s'ils partageaient une forme similaire à l'iPad pour la plupart, n'en différaient pas moins par la philosophie. Ils tournaient sur une version légèrement modifiée de Windows XP qui permettait de prendre en compte les interactions avec un stylet. Les premiers modèles sont sortis en novembre 2002, ils coûtent alors plus cher que les PC portables, tandis que l'iPad se positionnera dans un autre segment tarifaire.

Las, la prédiction de Gates tourne court, les Tablet PC ne restent qu'un épiphénomène commercial : seules 640.000 tablettes ont été écoulées en 2004, soit moins de 2 % du marché de l'informatique mobile d'alors. En 2005, Bill Gates dit qu'il croit toujours au format, encourageant à poursuivre sur les investissements. L'explication qu'il donne à l'insuccès des tablettes tient dans le fait qu'elles ne sont « pas encore le courant principal ». Ça tombe sous le sens.

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Bill Gates corrige les ambitions de sa première prédiction et la met à jour avec le contexte d'alors : « Il y aura des améliorations substantielles dans le logiciel orienté tablettes inclus dans la sortie prochaine de Longhorn [NDR : le nom de code de Windows Vista] et c'est un des nombreux champs sur lesquels nous travaillons avec Toshiba, et donc je vais à nouveau, sans donner de date précise, prédire que la plupart des machines portables à l'avenir seront des tablettes et j'ose espérer que d'ici les trois à cinq ans à venir les améliorations tant matérielles que logicielles en feront une réalité. »

C'est vers cette période qu'Apple lance ses travaux sur ce qui allait devenir l'iPhone. Mais manifestement Bill Gates n'est pas seul à croire au format tablette : Steve Jobs a révélé lors de son entretien au dernier D8 que les premiers travaux sur l'iPhone portaient en réalité sur une tablette avant de réorienter le produit vers un smartphone, l'iPad étant par la suite une reprise du projet initial.

Microsoft s'entête malgré l'échec

En 2006, Microsoft tente de donner un second souffle à son initiative avec le projet Origami, qui promeut les UMPC (Ultra-Mobile PC). La licence Tablet PC n'impose plus aux constructeurs de détecter la proximité du stylet sans contact avec l'écran. Le premier modèle, le Samsung Q1, coûte $1099. Toujours sans l'ombre d'un succès. En 2007, la meilleure année pour les Tablet PC, il s'est vendu 1,4 million d'unités, toutes marques confondues…

Ultime effort, Steve Ballmer présente la Slate de HP quelques jours avant qu'Apple présente l'iPad. Véritable camouflet pour Microsoft, l'effet aura été suffisant pour que HP renvoie sa tablette sur la planche à dessin et finisse par envisager de passer à WebOS une fois qu'elle a eu racheté Palm…

Alors qu'Apple annonce l'iPad en janvier dernier, les prédictions de Bill Gates ont toutes fait choux blancs. Qu'à cela ne tienne, le Président de Microsoft annonce qu'en raison de son absence de stylet et de clavier, l'iPad aura du mal à tirer son épingle du jeu, bien qu'on ne puisse pas dire que le stylet du Tablet PC lui ait jusque-là porté chance… Il semble d'ailleurs que Bill Gates ait perdu tout espoir de voir la tablette prévaloir comme il le soutenait si fermement : « Je crois beaucoup dans l'interface tactile et la lecture numérique, mais je pense malgré tout qu'un mélange de la voix, du stylet et d'un vrai clavier — en d'autres termes le netbook — sera le courant dominant pour cela. »

Il faut malgré tout reconnaître à Gates qu'il était loin d'être le seul à demeurer dubitatif suite à l'annonce d'Apple. Nombreux étaient ceux qui s'interrogeaient sur l'utilité d'un tel produit, et restaient circonspects quant aux espoirs de vente. Le cabinet Forrester Research tablait le 17 juin sur 3,5 millions de tablettes, toutes marques confondues, vendues en 2010 sur le territoire américain, alors qu'Apple a annoncé le 22 juin la vente de son 3 millionième iPad (certes dans une dizaine de pays). Quoi qu'il en soit, et s'il lui reste à poursuivre sur sa lancée pour véritablement convaincre au delà de l'effet de nouveauté, en seulement trois mois, Apple a littéralement écrasé le marché mondial des tablettes à elle seule. La performance est louable, mais n'omettons pas de rappeler pour autant que ce marché n'a jamais fait référence pour ses performances. À titre de comparaison, il s'est écoulé environ 30 millions de netbooks l'année passée.

Les Tablet PC, trop en avance ?

Comment expliquer l'échec patent de Microsoft, malgré des efforts constants et renouvelés sur ce marché, elle qui l'avait initié il y a près d'une décennie ? On peut déjà souligner l'influence du géant de Redmond pour avoir pu imposer à ses propres clients, les fabricants, un concept de machine. Car l'une des forces reconnues d'Apple, c'est bien de maîtriser l'aspect matériel comme logiciel de ses produits. Mais Microsoft avait-elle raison trop tôt ?

Il y a dix ans, on ne pouvait guère envisager l'autonomie, le prix et les performances que présente l'iPad, qui font référence aujourd'hui. Mais la différence la plus notable entre les Tablet PC et l'iPad, c'est bien le système d'exploitation et son interface utilisateur. Alors qu'Apple a fait table rase de ses acquis dans le monde des ordinateurs avec iOS, Microsoft s'est entêtée à proposer une version légèrement modifiée de son système d'exploitation, de Windows XP jusqu'à Windows 7.

Et comment aurait-il pu en être autrement ? Windows a pour lui d'avoir des millions d'utilisateurs, et une logithèque en conséquence. Comment Microsoft aurait-elle pu envisager de ne pas tirer parti d'une telle force ? Ç’aurait tout simplement été considéré comme pure folie de sa part si elle avait fait le choix de partir d'une page blanche, d'autant que, de tout temps, Microsoft a appuyé tout son modèle économique sur la suprématie de Windows. Et le Tablet PC n'avait d'autre objectif pour Microsoft que de vendre plus de licences de Windows, et continuer à assoir sa domination en l'étendant à de nouveaux marchés. Apple n'avait pas autant à perdre en révisant intégralement ses acquis : l'objectif était pour elle de vendre des machines, et non des licences de son système d'exploitation.

Alors que l'iPhone est né initialement sous la forme d'une tablette, Apple a fait le choix d'attaquer par la bande en lançant un smartphone. Elle ne manquait d'ailleurs pas de raisons pour le faire : par la force des choses, les baladeurs numériques, iPod en tête, sont condamnés à être phagocytés par les smartphones à terme. Après une tentative avortée de partenariat avec Motorola, Apple s'est donc lancée en cavalier seul sur ce marché totalement nouveau pour elle. Et c'est par ce biais qu'elle a su imposer sa plateforme : s'il peut être encore concevable d'utiliser une tablette de la même manière qu'un PC portable, l'idée devient totalement farfelue lorsqu'il s'agit du petit écran d'un téléphone mobile. Microsoft elle-même y a renoncé avec Windows Mobile. Apple ne manquait d'ailleurs pas de motivations pour investir ce marché, vierge de toute domination. Elle pouvait enfin réussir là où Microsoft avait jusqu'ici anéanti ses espoirs de croissance.

Le pari a été amplement gagné, mais il avait également semé la graine de l'iPad dans l'esprit des consommateurs. Une vie numérique existe non seulement hors de Windows, mais même hors de la souris, du clavier physique, et de l'interface graphique à base de fenêtres et de menus déroulants. Steve Jobs assimile le PC au camion et l'iPad à la voiture. Comme en 2007 au sujet de l'iPhone, Steve Ballmer hausse des épaules, bien que Bill Gates ait un temps partagé le diagnostic de Steve Jobs, chose assez rare pour être soulignée. Il restera cependant fort à faire pour que les "voitures" désencombrent les "autoroutes de l'information" de leurs poids lourds : on prévoit de vendre quelques 355 millions de PC en 2010…

Quels espoirs pour Microsoft ?

Microsoft peut-elle revenir dans la course alors qu'Apple a d'ores et déjà mis une bonne distance entre l'iPad et les Tablet PC ? Pour rester compétitive d'un point de vue purement pratique, Microsoft se doit de réviser sa copie, en abandonnant l'interface de Windows, mais également sa logithèque. Des composantes qui faisaient partie de l'ambitieux projet Courier, malgré tout remisé au placard. Microsoft a cependant fait montre de sa capacité à profondément remettre en question ses produits avec Windows Phone 7, et elle a laissé entendre qu'il fallait s'attendre à une profonde révision de l'interface utilisateur sur Windows 8, rien n'est donc joué sur ce plan.

Mais pire encore, ça n'est pas tant Apple qui est en concurrence directe avec Microsoft, que Google avec le couple Android/Chrome OS. Et comme sur le marché des smartphones, Microsoft aura fort à faire pour vendre des systèmes d'exploitation aux fabricants alors que Google distribue les siens gratuitement. En conséquence, il sera très difficile pour Microsoft de tirer son épingle du jeu sur ce marché. Sa décennie d'avance n'y aura pas même suffi.

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