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Nokia, leader en crise

Arnaud de la Grandière

Thursday 30 September 2010 à 11:47 • 46

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Alors que Nokia semble indéboulonnable de sa première place mondiale parmi les fabricants de téléphones, l'entreprise finlandaise connaît actuellement des remaniements sans précédent : après avoir engagé un PDG d'origine étrangère pour la première fois de son histoire, nombre de cadres supérieurs ont été remplacés, donnant la mesure d'une crise sous-jacente pour la société.

En matière de stratégie, les entreprises se sont beaucoup accrochées à la symétrie entre parts de marché et bénéfices : en prenant la tête des ventes, logiquement on devrait se tailler la part du lion des bénéfices. En admettant publiquement son échec définitif face à Microsoft en 1997, Apple a appris à dissocier les deux : le but n'est pas d'être en tête des ventes, mais de gagner le plus d'argent possible, et l'un peut aller sans l'autre. Steve Jobs l'a dit de manière éloquente : « Il nous faut laisser tomber un certain nombre de choses. Nous devons abandonner la notion voulant que Microsoft perde pour qu'Apple gagne.»

Parts de marché et bénéfices, même combat ?

Et de fait, si le Macintosh ne se taille au mieux que 10 % des ventes sur certains marchés, cela n'empêche pas Apple de gagner plus d'argent que HP et Dell réunies, pourtant les deux premiers constructeurs en termes de parts de marché. Cette différence reste malgré tout logique : il est plus facile de rafler une plus importante part de marché avec des produits au tarif agressif, mais sur lesquels on fera moins de marge, synonyme de moindres bénéfices. Cette logique, comme on peut le voir avec l'iPad, bénéficie avant tout à l'installation d'une plateforme : c'est Microsoft la grande gagnante de la guerre des prix des fabricants de PC.

Certes, chacune des entreprises en question a investi d'autres marchés que l'informatique traditionnelle, avec plus ou moins de bonheur, ce qui se reflète dans ces bénéfices. Néanmoins le contraste entre parts de marché et bénéfices est saisissant, d'autant qu'Apple a reproduit la recette miracle dans le marché des smartphones. C'est bien ce qui cause aujourd'hui le branle-bas de combat chez Nokia.

L'iPhone dévore les revenus de l'industrie mobile

En effet, les chiffres sont sans appel : selon Canaccord Genuity et IDC, si Apple ne s'arroge que 2,8 % des ventes de téléphones mobiles sur le premier semestre 2010 (contre 65,8 % pour Nokia, Samsung et LG, les trois plus gros vendeurs de téléphones), au niveau des bénéfices la firme à la pomme gobe la plus grosse part du gâteau, avec 39 % des bénéfices, contre 32 % pour Nokia, LG et Samsung. Une chance encore qu'Apple n'ait pas capté une part plus importante des ventes !

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Un autre graphique éloquent montre la formidable progression d'Apple sur la durée depuis l'arrivée du tout premier iPhone, au détriment de Nokia en premier lieu, même si LG et Sony Ericsson ont également perdu du terrain.

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Tout cela, donc, avec à peine 3 % du marché. Il faut toutefois noter qu'Apple n'est présente que sur le marché des smartphones, dont le tarif d'entrée est autrement plus élevé que celui des feature phones où Nokia est plus particulièrement présente. Mais voilà justement où le bât blesse : si Nokia peut toujours s'enorgueillir d'être le premier fabricant mondial de téléphones en ventes unitaires, 78 % de ses ventes sont des "dumbphones" sur lesquelles elle fait moins de bénéfices. Mais dans un marché où les smartphones Android sont vendus, une fois subventionnés, au même tarif que les feature phones, il devient impossible de se battre.

De bonnes ventes qui cachent une lourde perte de vitesse

De fait, les premiers marchés de Nokia sont la Chine et l'Inde. Si le fabricant a connu une progression de ses ventes dans la région EMEA (Europe, Moyen-Orient, et Afrique), ainsi qu'en Amérique Latine, les ventes ont une croissance négative en Amérique du Nord.

Mais pire encore qu'en termes de proportion, la valeur des bénéfices nets de Nokia a fondu comme neige au soleil, passant de 1,22 milliard d'euros à 122 millions d'euros en un an. Malgré sa position de numéro un mondial, avec un téléphone sur trois vendu sous sa marque, Nokia est un colosse aux pieds d'argile. Le marché du smartphone a mis un véritable coup de frein à son développement, et il fallait impérativement réagir.

Le conseil d'administration, prenant la mesure des dégâts et voulant donner un signal fort à ses actionnaires, a limogé son PDG. Pour autant, Olli-Pekka Kallasvuo n'a pas démérité et cela n'est pas faute d'avoir fait preuve d'initiatives. Sur le plan des systèmes d'exploitation, Nokia a dans un premier temps tâché de donner un second souffle à Symbian, puis s'est lancé sur Maemo, un système dérivé de Linux, avant de le fusionner avec le projet Moblin d'Intel, renommé MeeGo. Les directives étaient là, l'exécution a pêché. Cela n'est pas tant par manque de décision que de vision que la société a pêché, un constat qu'on a pu également faire au sujet d'autres sociétés comme Sony ou Microsoft. Les grands architectes se font rares, et doivent parfois lutter contre les inerties, voire les résistances, des grandes entreprises pour conserver leurs acquis.

Les langues se délient

Avec le PDG, nombre de cadres ont pris la porte (lire Nokia : que le jeu des chaises musicales commence), et le mini-séisme au sein de Nokia a délié quelques langues. Ari Hakkarainen, cadre en charge du marketing chez Nokia jusqu'en 2007, a ainsi révélé au New York Times qu'un précurseur de l'iPhone, arrivé jusqu'au stade de prototype, était à l'étude en 2004 : le smartphone disposait d'un grand écran tactile et pouvait naviguer sur le web, mais la société a préféré mettre fin au projet, considérant qu'il était trop difficile à rentabiliser eu égards aux coûts de fabrication, et donc trop risqué. « C'était au tout début, et personne ne comprenait grand chose au potentiel des écrans tactiles. Et c'était un appareil coûteux à produire, donc il impliquait un plus grand risque pour Nokia. Donc les dirigeants ont fait comme d'habitude. Ils y ont mis fin. »

L'ancien employé ne précise pas si l'écran tactile en question faisait usage d'un stylet ou s'il utilisait la technologie capacitive, ce qui fait tout de même une différence notable : de tels appareils tactiles ont vu le jour bien avant l'arrivée de l'iPhone, y compris chez Nokia, comme le souligne d'ailleurs une porte-parole de la société interrogée par le New York Times suite à ces déclarations.

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Une autre source citée dans le même article indique qu'un projet de magasin en ligne d'applications avait été abandonné par Nokia en 2004. Nokia aurait donc eu toutes les clés pour être à la place d'Apple aujourd'hui et aurait simplement manqué le coche par négligence. Mais lorsqu'on détient la première place, et d'aussi loin, rien ne motive les entreprises à remettre en question leurs acquis, comme cela c'est déjà vu maintes fois. Microsoft a cessé de mettre à jour Internet Explorer durant cinq longues années une fois qu'elle a été assurée de sa domination totale, et cela n'est que les outsiders qui viennent remettre en question l'ordre établi. Quant à instaurer un App Store avant l'heure, il faut remettre les choses dans leur contexte : Nokia, comme tout autre fabricant de téléphone, était inféodé aux opérateurs avant l'arrivée de l'iPhone. Il aura fallu le charisme de Steve Jobs et le statut unique d'Apple pour parvenir à changer la donne (lire Smartphones : la riposte des opérateurs).

Nokia a par ailleurs fait montre d'une fébrilité certaine dans la procédure judiciaire qui l'oppose à Apple. La firme de Cupertino a déclaré qu'elle s'était résolue à ne pas se plier aux exigences de Nokia quant à la licence de ses brevets sur le GSM (qui fait l'objet de la procédure intentée par Nokia) car cette dernière avait ajouté au tarif habituel demandé aux autres sociétés des exigences intolérables : une licence sur des brevets exclusifs d'Apple portant sur l'iPhone. Il est vrai qu'à moins de changer totalement de paradigme, il semble difficile de se battre à armes égales avec l'iPhone sans pouvoir s'aligner sur certaines technologies.

Un ancien développeur de Nokia a contacté John Gruber pour lui faire part de son expérience

Voilà le problème : c'est le matériel qui règne chez Nokia. Les logiciels sont écrits par les groupes logiciels au sein de Nokia, qui sont ensuite donnés au groupe matériel, qui a le droit de décider quel logiciel sera sur l'appareil, et l'environnement sur lequel il tournera. Tout le calendrier est mené par le planning du matériel. Il n'est pas rare que nous leur donnions du code qui fonctionne parfaitement selon leurs propres tests, jusqu'à ce qu'ils fassent des choses comme réduire la mémoire disponible pour le logiciel au quart de l'allocation spécifiée, puis pointent du doigt le logiciel quand les choses échouent sur le terrain.

En outre, j'ai lu leur "analyse compétitive" de l'iPhone. C'était une courte présentation Powerpoint qui étalait toutes les raisons pour lesquelles Nokia n'avait rien à changer à ce qu'elle faisait. Ils ont même fait mention de "l'agacement des développeurs face au processus de validation de l'App Store" comme une des raisons pour lesquelles l'iPhone finirait par échouer (c'était aux alentours de la sortie du 3GS, donc ils n'avaient aucune excuse).

Bilan : Nokia est une entreprise de matériel qui déteste le logiciel


Quelles options pour reprendre la main ?

De fait, depuis que les téléphones laissent la part belle au logiciel, Nokia a bien du mal a trouver sa voie. Il lui faut recentrer ses efforts sur un seul et unique OS et choisir une ligne directrice forte. La firme a d'ores et déjà entamé la refonte de son catalogue (lire Le C7, nouvel étage de la maison Nokia). Elle vient par ailleurs de mettre sur le marché le N8, vaisseau amiral de sa gamme, qui fonctionne sur Symbian^3.

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D'autre part, il se murmure que le nouveau PDG de Nokia transfuge de chez Microsoft, Stephen Elop, envisagerait le repli sur Windows Phone 7, ce qui ferait sortir Nokia du club très fermé des fabricants à disposer de leur propre OS : seules Nokia, Apple, Samsung et RIM peuvent se prévaloir de cette indépendance. Et pour le constructeur finlandais, c'est aussi une question de standing, car quelles que soient les responsabilités qu'on puisse pointer du doigt, il n'en reste pas moins que la société a à son actif quelques belles réussites. A son zénith, ses produits se démarquaient clairement de la concurrence par le soin manifeste apporté à l'expérience utilisateur, du toucher des boutons jusqu'à la clarté et la cohérence de ses menus. Qui plus est Nokia a été l'une des grandes pionnières du GSM, justifiant de sa position actuelle. En somme, Nokia est prise au piège par son propre prestige : tout compromis serait un aveu d'échec manifeste. Reste à la société à trouver sa propre voie et à marquer à nouveau les esprits par une ligne directrice forte et originale, faute de quoi elle rejoindra la cohorte des fabricants de second plan.

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