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Vidéo en HTML5 : on refait le match ?

Arnaud de la Grandière

vendredi 28 janvier 2011 à 18:01 • 107

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Google a donc décidé de supprimer le support du H.264 dans son navigateur d'ici deux mois. La raison affichée d'un tel choix : la promotion et le support de formats libres au détriment du standard ouvert (mais non moins propriétaire) qu'est le H.264 (lire Chrome : Google abandonne le H.264).

Voici donc un nouvel épisode dans la longue bataille rangée qui oppose les deux camps autour du tag vidéo de HTML5. Les supporters de WebM se surprennent à rêver qu'un tel soutien soit décisif pour faire basculer les choses… La Free Software Foundation n'a d'ailleurs pas caché son enthousiasme suite à cette annonce. Mais, malgré le poids indiscutable de Google, il en faudra bien plus pour faire basculer l'équilibre actuel des choses.

Commençons par faire une estimation des forces en place. Dans le domaine des navigateurs sur ordinateur, seuls Safari et Internet Explorer restent dans le camp du H.264, tandis que Firefox, Opera et désormais Chrome (qui jusqu'ici était le seul navigateur à supporter les deux formats) sont dans le camp de WebM. Pour ce qui est du support effectif du HTML5, seuls IE9 (0,46 % de parts de marché), Safari 4+ (5,41 %), Firefox 3.5+ (21,09 %), Opera 10.5 (2 %), et Chrome 3+ (9,8 %) supportent le tag vidéo, du moins parmi les navigateurs sur ordinateur. Cela ne représente encore qu'une minorité sur la totalité des navigateurs utilisés actuellement.

Car il ne faut pas omettre les appareils mobiles, et particulièrement iOS, dont l'incapacité à lire du Flash a été l'un des moteurs de l'adoption du H.264 sur le web. Si iOS ne s'arroge "que" 1,69 % de parts de marché des systèmes d'exploitation (toutes machines confondues), il n'en est pas moins le fer de lance des plateformes mobiles, un domaine hautement stratégique. Les autres OS mobiles proposent également tous un support natif du H.264, grâce à l'accélération matérielle qui rend sa lecture plus économe en énergie.

WebM-H264-Flash


Passons ensuite sur les fournisseurs de contenus : le premier d'entre eux, YouTube, supporte aussi bien le H.264 que le WebM. Au-delà, il faut encore chercher pour trouver des vidéos au format WebM. Et pour cause : cette valse des codecs a un coût, non seulement de stockage, mais surtout d'encodage.

Les fournisseurs de contenus sont avant tout à la recherche du plus grand dénominateur commun entre tous les navigateurs et toutes les plateformes. Pour l'heure, c'est le duo Flash et H.264 qui l'emporte, puisque le plug-in d'Adobe permet de lire des vidéos H.264 dans les navigateurs qui ne disposent pas de cette fonction. De même, iOS, privé de Flash, peut lire les vidéos au format H.264, comme la plupart des plateformes mobiles.

Prenons le cas de Dailymotion, qui héberge quelque 16 millions de vidéos, au format 3G (240p), SD (380p), HQ (480p) et HD (720p). Pour supporter pleinement le WebM, il faudrait convertir chacune de ces vidéos à chacune de ces résolutions, pour au final n'obtenir strictement aucun avantage du point de vue de l'hébergeur : le support du WebM n'augmenterait pas la portée du site. Sans compter que Dailymotion reçoit nombre de vidéos déjà encodées en H.264 eu égard à la quantité de matériel qui supporte nativement ce format, et que les encodeurs WebM sont deux à trois fois plus lents que leurs pendants en H.264. Sachant d'autre part que le MPEG-LA a décidé d'abandonner définitivement ses royalties sur la diffusion gratuite de contenus en H.264, WebM ne présente pas même de compensation sur ce plan.

Adobe a déjà annoncé son intention d'ajouter le support du WebM dans Flash, et Google parle également d'un plug-in permettant de lire du WebM (probablement sous la forme d'un codec pour QuickTime et Windows Media plutôt que d'un plug-in pour chaque navigateur, lire WebM : liberté, politique et… installation de plug-ins). Il n'en reste pas moins qu'iOS restera incapable de lire du WebM. Les éditeurs de sites qui souhaitent rester accessibles sur les appareils d'Apple auront donc tout intérêt à conserver H.264, qui restera lisible dans Firefox, Chrome et Opera par le truchement de Flash.

Et c'est là où l'annonce de Google démontre ses effets pervers : loin d'inciter à l'abandon de Flash, elle ne fait que renforcer sa position. Certains observateurs n'ont d'ailleurs pas manqué de soulever une incohérence dans l'attitude de Google : si elle abandonne le H.264 pour des questions de philosophie relative au code propriétaire, que fait donc le code de Flash au sein même de celui de Chrome ? Et qu'en est-il des autres produits de Google qui conservent leur support du H.264 ? Olivier Poitrey, directeur technique de Dailymotion, ne mâche pas ses mots : « Google veut nous faire croire que son unique intérêt est de faire avancer l'open source, mais en gardant le support de ce format propriétaire dans YouTube, Android et Google TV, elle démontre l'hypocrisie de son action ».

Reste également l'épineuse question de l'accélération matérielle, cruciale pour les appareils mobiles, et jusqu'ici l'apanage exclusif du H.264. Certes, le support du WebM au niveau matériel a été promis, mais quid des générations actuelles de matériel, et des divers engagements contractuels de YouTube auprès de ses partenaires ?

En effet, il est difficile d'imaginer que Google puisse supprimer le H.264 sur YouTube : dans l'immédiat seuls 32,89 % des internautes pourraient continuer à consulter le site en l'état, un sacrifice impensable. Même lorsque Flash intégrera WebM, il faudra que les internautes mettent à jour leur version pour pouvoir en tirer parti : la version actuelle de Flash ne pose pas cet inconvénient (Flash gère le H.264 depuis la version 9 sortie en décembre 2007). De plus, on imagine mal que Google ne se soit pas engagé contractuellement auprès de partenaires comme Apple pour maintenir la compatibilité avec leurs appareils.

L'engagement de Google derrière le WebM a au moins le mérite de clarifier la donne concernant la situation du codec sur le domaine des brevets : le MPEG-LA a dit et répété que le format libre violait certains de ses brevets, et qu'une licence était en cours d'élaboration. L'association industrielle ne pourra faire trembler indéfiniment sans que ses menaces ne soient mises à exécution, et dans l'hypothèse où elles sont fondées, Google représenterait une cible de choix, si ce n'est pour l'exemple, au moins pour les dommages et intérêts qu'elle pourrait représenter. Ajoutons cependant que rien n'empêche le MPEG-LA de choisir avec parcimonie ses adversaires judiciaires, d'autant que Google a clairement fait comprendre qu'elle ne viendrait pas au secours de ses partenaires.

Bref, la décision de Google est un pavé dans la mare du HTML5, qui ne fait que redonner de la pertinence à Flash, là où Apple avait fait tout le contraire. Et si précisément c'était l'effet de bande recherché ? En redonnant de l'importance à Flash, Google pourrait fort bien œuvrer à l'intérêt d'Android, qui lui supporte ce format, à l'inverse d'iOS… le tout en passant pour le chevalier blanc des formats libres.

Mais Google n'a-t-elle pas tout simplement suivi la logique d'écosystème ? À vrai dire, la propriété d'un codec vidéo, fut-il appelé à devenir un standard, n'est pas un enjeu stratégique majeur, dans la mesure où l'interopérabilité est précisément un élément crucial pour les standards industriels. L'exclusivité est d'autant moins de mise sur un format libre. Google peut certes présider en toute liberté sur l'avenir du codec et décider de ses évolutions futures, mais les effets collatéraux semblent plus déterminants encore que ce seul avantage, du moins à moyen terme.

Ces explications justifieraient-elles les coûts importants que représente l'investissement de Google derrière le WebM ? Il lui en a tout de même coûté 100 millions de dollars pour en faire l'acquisition, et la conversion des plus de 120 millions de vidéos hébergées sur YouTube aura certainement un coût conséquent que peu d'autres acteurs peuvent se permettre. Des chiffres qui sont malgré tout à remettre en perspective : selon diverses estimations, le déficit de YouTube se monterait à quelque 500 millions de dollars rien que sur l'année 2009. Une paille en comparaison des 6,5 milliards de bénéfices engrangés l'an dernier par Google.

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