La démission de Pascal Cagni, directeur général et vice-président d'Apple EMEIA, n'est que la première étape d'un remaniement plus profond de la branche européenne. D'après nos informations, il a été demandé à Hervé Marchet, directeur d'Apple EMEIA et proche de Pascal Cagni, de quitter ses fonctions. On l'aura compris, la simultanéité de ces deux départs n'est pas une coïncidence, mais bel et bien la manifestation d'une reprise en main par Cupertino de ses filiales.
Ses points communs avec Pascal Cagni sont nombreux, de son arrivée chez Apple en 2000 en provenance de Packard Bell / NEC, à un certain charisme qui en faisait une figure d'Apple Europe. Il est connu pour avoir dirigé les opérations marketing de la branche éducation d'Apple EMEIA : il a été à ce titre responsable de la mise en place de l'opération MIPE avec Richard Ramos (qui a quitté Apple France en 2010), de l'extension du programme Apple on Campus à l'Europe et notamment la France, des grands contrats de fourniture des universités par Apple, ou des diverses réductions pour les étudiants et les enseignants. Son départ fait écho à celui de Pascal Cagni, dont il était en quelque sorte le bras droit, et confirme une franche reprise en main d'Apple sur ses filiales, après un premier coup de semonce de la fin 2005 à la mi 2006.
Ce qui s'annonce comme un remaniement d'Apple Europe, Moyen-Orient, Inde et Afrique finit de vider cette filiale de cette spécificité. La première filiale européenne d'Apple a été créée par Jean-Louis Gassée en février 1981 : il s'agissait bien évidemment d'Apple France. Sa première particularité est de s'être longtemps confondue avec Apple Europe, la France ayant longtemps été le premier marché européen pour Apple et son deuxième dans le monde. Sa deuxième particularité est d'être quasiment indissociable des efforts d'Apple pour s'imposer dans le monde de l'éducation : Gassée a été le premier président de la Fondation Apple Education dès 1982, et la branche éducation a souvent été perçue comme la plus influente au sein d'Apple Europe. Sa troisième particularité est d'avoir participé à la mise en place d'une « filière française » (et européenne) chez Apple, pour les ingénieurs et les développeurs, mais aussi pour les cadres : Jean-Louis Gassée a succédé à Steve Jobs à la tête de la division Macintosh, et un de ses successeurs, Michael Spindler, fut un temps CEO du groupe.
Le transfert du siège d'Apple EMEIA de Paris à Londres tient certes en grande partie à des détails opérationnels, mais a aussi été l'occasion d'une redéfinition des prérogatives et des moyens accordés à Apple Europe, d'un affaiblissement de l'influence d'Apple France pour traduire la baisse de l'importance de la France dans les résultats d'Apple, et globalement d'une reprise en main de Cupertino sur ses filiales. De véritable Apple dans Apple, Apple Europe est devenue progressivement une simple filiale de multinationale. En 2000, Pascal Cagni avait pourtant été recruté par Steve Jobs en personne, et l'on sait que les deux entretenaient des relations fréquentes et cordiales. Il faut dire que pendant toute la décennie, la croissance d'Apple a été particulièrement forte en Europe — mais le moteur de croissance s'appelle aujourd'hui la Chine, et les piliers de la filiale sont aussi des obstacles à une sorte de rentrée dans le rang. L'Europe et sa filiale d'Apple n'ont tout simplement plus les moyens de leurs prétentions.
Tim Cook construit indéniablement un après-Steve Jobs, et ce sont là des cadres des années 2000, de l'ère Steve Jobs, qui sont débarqués : il s'agit de normaliser Apple en cassant des fiefs, de la faire entrer dans son costume de multinationale parmi les plus grandes du monde avec une organisation un peu plus centralisée, et de policer quelque peu cette filiale européenne originale (lire : Tim Cook : le "simple mortel"). À cet impératif économique et opérationnel répond sans doute des affinités personnelles : il se murmure que Pascal Cagni et certains de ses collègues ne plaisaient pas particulièrement au nouveau CEO d'Apple, qui a multiplié les voyages en Europe ces derniers mois. C'est donc un peu du parfum tout particulier qui régnait à Apple France et Apple Europe qui s'efface : la France n'est plus « la fille aînée de l'Église Apple », selon le mot… de Pascal Cagni.
Une des premières décisions de Tim Cook en tant que CEO a été par exemple de mettre fin à l'indépendance de la branche éducation américaine d'Apple. Elle a tout simplement été démantelée et intégrée à l'organigramme « classique » du groupe, le marketing rejoignant la division de Phil Schiller, les ventes celles de John Brandon. On pourrait imaginer que dans les prochains mois, la situation ubuesque qui voit Apple Europe concurrencer sa maison mère dans l'établissement d'un réseau de distribution disparaisse. Actuellement, les APR sont gérés par la filiale, dont une partie du revenu dépend d'ailleurs des performances du réseau de vente, alors que Cupertino gère directement Apple Retail et les Apple Store, sans d'ailleurs toujours avertir Apple Europe. C'est d'ailleurs en grande partie par le succès d'Apple Retail et l'intervention des équipes américaines sur le territoire européen que l'on peut expliquer la déchéance des filiales françaises et européennes du groupe. Affront ultime et comble de la situation : les locaux d'Apple Europe sont au-dessus d'un Apple Store, et c'est aujourd'hui un Anglais qui dirige Apple Retail, son bras droit passant le plus clair de son temps en Europe et notamment à Londres.
L'arrivée d'une nouvelle génération aux commandes, qui n'a pas connu l'« épopée » des années 1980 et 2000, favorisera sans doute la normalisation d'Apple Europe, qui va bel et bien devenir une filiale « normale » intégrée à sa maison-mère, comme dans tous les grands groupes. Nous devrions en savoir un peu plus sur les détails précis de ces départs et les réorganisations éventuelles qu'ils vont entraîner dans les prochains jours. Dans tous les cas, c'est bien une nouvelle ère qui s'ouvre pour Apple, si on en doutait encore.
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- Apple : le jeu de cadres
- L'Eglise Apple et le messie Jobs
Hervé Marchet (image Jöran Fagerlund)
Ses points communs avec Pascal Cagni sont nombreux, de son arrivée chez Apple en 2000 en provenance de Packard Bell / NEC, à un certain charisme qui en faisait une figure d'Apple Europe. Il est connu pour avoir dirigé les opérations marketing de la branche éducation d'Apple EMEIA : il a été à ce titre responsable de la mise en place de l'opération MIPE avec Richard Ramos (qui a quitté Apple France en 2010), de l'extension du programme Apple on Campus à l'Europe et notamment la France, des grands contrats de fourniture des universités par Apple, ou des diverses réductions pour les étudiants et les enseignants. Son départ fait écho à celui de Pascal Cagni, dont il était en quelque sorte le bras droit, et confirme une franche reprise en main d'Apple sur ses filiales, après un premier coup de semonce de la fin 2005 à la mi 2006.
Ce qui s'annonce comme un remaniement d'Apple Europe, Moyen-Orient, Inde et Afrique finit de vider cette filiale de cette spécificité. La première filiale européenne d'Apple a été créée par Jean-Louis Gassée en février 1981 : il s'agissait bien évidemment d'Apple France. Sa première particularité est de s'être longtemps confondue avec Apple Europe, la France ayant longtemps été le premier marché européen pour Apple et son deuxième dans le monde. Sa deuxième particularité est d'être quasiment indissociable des efforts d'Apple pour s'imposer dans le monde de l'éducation : Gassée a été le premier président de la Fondation Apple Education dès 1982, et la branche éducation a souvent été perçue comme la plus influente au sein d'Apple Europe. Sa troisième particularité est d'avoir participé à la mise en place d'une « filière française » (et européenne) chez Apple, pour les ingénieurs et les développeurs, mais aussi pour les cadres : Jean-Louis Gassée a succédé à Steve Jobs à la tête de la division Macintosh, et un de ses successeurs, Michael Spindler, fut un temps CEO du groupe.
Le transfert du siège d'Apple EMEIA de Paris à Londres tient certes en grande partie à des détails opérationnels, mais a aussi été l'occasion d'une redéfinition des prérogatives et des moyens accordés à Apple Europe, d'un affaiblissement de l'influence d'Apple France pour traduire la baisse de l'importance de la France dans les résultats d'Apple, et globalement d'une reprise en main de Cupertino sur ses filiales. De véritable Apple dans Apple, Apple Europe est devenue progressivement une simple filiale de multinationale. En 2000, Pascal Cagni avait pourtant été recruté par Steve Jobs en personne, et l'on sait que les deux entretenaient des relations fréquentes et cordiales. Il faut dire que pendant toute la décennie, la croissance d'Apple a été particulièrement forte en Europe — mais le moteur de croissance s'appelle aujourd'hui la Chine, et les piliers de la filiale sont aussi des obstacles à une sorte de rentrée dans le rang. L'Europe et sa filiale d'Apple n'ont tout simplement plus les moyens de leurs prétentions.
Apple France (Image Anthony Nelzin).
Tim Cook construit indéniablement un après-Steve Jobs, et ce sont là des cadres des années 2000, de l'ère Steve Jobs, qui sont débarqués : il s'agit de normaliser Apple en cassant des fiefs, de la faire entrer dans son costume de multinationale parmi les plus grandes du monde avec une organisation un peu plus centralisée, et de policer quelque peu cette filiale européenne originale (lire : Tim Cook : le "simple mortel"). À cet impératif économique et opérationnel répond sans doute des affinités personnelles : il se murmure que Pascal Cagni et certains de ses collègues ne plaisaient pas particulièrement au nouveau CEO d'Apple, qui a multiplié les voyages en Europe ces derniers mois. C'est donc un peu du parfum tout particulier qui régnait à Apple France et Apple Europe qui s'efface : la France n'est plus « la fille aînée de l'Église Apple », selon le mot… de Pascal Cagni.
Une des premières décisions de Tim Cook en tant que CEO a été par exemple de mettre fin à l'indépendance de la branche éducation américaine d'Apple. Elle a tout simplement été démantelée et intégrée à l'organigramme « classique » du groupe, le marketing rejoignant la division de Phil Schiller, les ventes celles de John Brandon. On pourrait imaginer que dans les prochains mois, la situation ubuesque qui voit Apple Europe concurrencer sa maison mère dans l'établissement d'un réseau de distribution disparaisse. Actuellement, les APR sont gérés par la filiale, dont une partie du revenu dépend d'ailleurs des performances du réseau de vente, alors que Cupertino gère directement Apple Retail et les Apple Store, sans d'ailleurs toujours avertir Apple Europe. C'est d'ailleurs en grande partie par le succès d'Apple Retail et l'intervention des équipes américaines sur le territoire européen que l'on peut expliquer la déchéance des filiales françaises et européennes du groupe. Affront ultime et comble de la situation : les locaux d'Apple Europe sont au-dessus d'un Apple Store, et c'est aujourd'hui un Anglais qui dirige Apple Retail, son bras droit passant le plus clair de son temps en Europe et notamment à Londres.
L'arrivée d'une nouvelle génération aux commandes, qui n'a pas connu l'« épopée » des années 1980 et 2000, favorisera sans doute la normalisation d'Apple Europe, qui va bel et bien devenir une filiale « normale » intégrée à sa maison-mère, comme dans tous les grands groupes. Nous devrions en savoir un peu plus sur les détails précis de ces départs et les réorganisations éventuelles qu'ils vont entraîner dans les prochains jours. Dans tous les cas, c'est bien une nouvelle ère qui s'ouvre pour Apple, si on en doutait encore.
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