Surprise de la Google I/O 2012, le Nexus Q est un produit extrêmement révélateur de la stratégie de Google. C'est un ancien projet de recherche devenu un produit grand public. C'est un membre de la famille Nexus, et pas n'importe lequel, celui qui l'unifie. C'est le premier produit conçu et fabriqué par Google de A à Z. Le Nexus Q est donc important — mais paradoxalement, personne ne comprend vraiment à quoi il sert.
Premier appareil conçu et fabriqué par Google de A à Z
Comme Microsoft, Google rejoint le sillon tracé par Apple et suit désormais à la lettre les préceptes édictés par Alan Kay : « ceux qui considèrent le logiciel comme une chose sérieuse devraient concevoir leur propre matériel. » On pourrait aujourd'hui y ajouter les services, d'autant plus incontournables que Google vient de lancer un concurrent d'Amazon S3. Le Nexus Q est ainsi le premier appareil entièrement conçu et fabriqué par Google, sans l'intervention d'un partenaire — il est à ce point important.
Il est d'ailleurs conçu et fabriqué aux États-Unis, un fait qui en dit moins sur Google que sur l'évolution du marché chinois. De nombreux composants de vos appareils sont en effet d'ores et déjà fabriqués aux États-Unis, par exemple le processeur et la mémoire de votre iPhone ou de votre iPad — le Texas a conservé les compétences et les emplois pour le faire. Ce qui est nouveau est que le produit final ne soit pas assemblé en Chine, mais c'est un effet de l'augmentation des salaires sur la côte : ils atteignent désormais 2 à 5 € de l'heure, si bien qu'un assemblage aux États-Unis, où les salaires ouvriers sont à peine plus élevés, a un impact plus minimal sur le prix final de 299 $, qui devrait baisser avec le temps.
Plusieurs composants du Nexus Q sont toujours fabriqués en Asie et notamment en Chine, avant d'être renvoyés aux États-Unis : Google, comme les autres fabricants, ne peut nier que ce pays s'est construit comme usine du monde et est incontournable dans certains secteurs. Mais aujourd'hui, l'effet de rattrapage rend la relocalisation appelée par certains depuis des années un rêve à portée de mains. Google est une des premières sociétés de l'industrie informatique à agir, sans pour autant préciser où son produit est fabriqué, même si l'on sait qu'il s'agit d'un sous-traitant en Californie. Elle suit ainsi des sociétés d'autres secteurs, qui sont revenues aux États-Unis et payent certes un peu plus cher leurs employés, mais accèdent aussi à d'autres compétences.
Au-delà de ce « made in USA » qui est important en lui-même mais pas forcément révélateur, c'est le placement du Nexus Q qui est particulièrement original pour Google. C'est un produit véritablement grand public, sans interface ni boutons, avec une forme étrange, et un certain attrait. C'est en fait un produit en forme de trait d'union : il permet à Google d'investir le salon, pièce dans laquelle se joue la plus grande bataille de l'informatique moderne, celle du verrouillage définitif des écosystèmes fermés, ici celui d'Apple avec l'App Store, là celui de Microsoft avec le Windows Marketplace, et enfin celui de Google avec Google Play. Le Q est un produit Nexus car il participe de cet écosystème de facto fermé de Google : le téléphone, la tablette, et le lecteur qui les réunit.
Un lecteur en streaming social, quézako ?
Aussi important soit-il, personne ne comprend vraiment ce qu'est le Nexus Q, notamment parce que Google ne l'a pas vraiment expliqué. Certains le comparent à l'Apple TV : c'est sans doute le plus simple pour appréhender le Nexus Q, mais c'est particulièrement faux. L'Apple TV est une sorte d'iPhone mis dans une boîte noire sous iOS 5. Le Nexus Q est une sorte de Galaxy Nexus mis dans une sphère noire sous Android 4.0 Ice Cream Sandwich. Les similarités s'arrêtent là.
L'Apple TV est un appareil entièrement autonome : vous pouvez l'utiliser avec une télécommande même si vous n'avez pas d'iPhone ou d'iPad, et louer des films, des séries TV, regarder du contenu vidéo sur le web ou écouter de la musique stockée dans iTunes Match. Le Nexus Q, lui, ne peut absolument pas fonctionner sans un autre appareil Android : il ne dispose pas d'une interface utilisateur autonome, même lorsqu'il est relié à un téléviseur. Ainsi, son paramétrage doit être effectué depuis un smartphone ou une tablette Android, même s'il est facilité par un lien NFC. C'est un premier verrou : le Nexus Q ne peut absolument pas exister en dehors de l'écosystème Android.
Comme l'Apple TV, le Nexus Q sert de relais pour écouter de la musique ou lire des vidéos — mais le Nexus Q fonctionne de manière diamétralement opposée. L'Apple TV streame via AirPlay le contenu d'un appareil iOS (musique, vidéo, mode miroir, apps), l'iPhone ou l'iPad servant aussi de télécommande. Avec le Nexus Q, l'appareil Android ne sert que de télécommande : lorsque vous démarrez la lecture d'un film depuis votre Nexus 7 sur votre Nexus Q, la sphère ne lit pas le film depuis la tablette. Non, elle va chercher le même contenu dans le nuage et le lit elle-même — si le contenu n'est pas dans le nuage, il ne peut pas être lu. C'est un deuxième verrou : le Nexus Q ne peut absolument pas exister en dehors de l'écosystème Google Play.
Ce fonctionnement à rebours n'est pas illogique, au contraire : il est parfaitement révélateur du rôle du Nexus Q dans l'écosystème Google Play que la firme de Mountain View est en train de construire. Les appareils Android, Nexus Q y compris, peuvent être bidouillés, certes — mais le verrouillage s'effectue dans le nuage. Comment donc qualifier cet étrange appareil, trois fois plus cher que l'Apple TV mais pas aussi autonome, à la fois plus puissant et moins fonctionnel ?
Google propose « lecteur en streaming social », arguant que le Nexus Q serait le premier du genre. Ce qui est faux : l'Apple TV de première génération, il y a cinq ans, embarquait iTunes DJ, qui permet à tout un chacun d'ajouter de la musique à une liste de lecture en cours via un appareil iOS. Il y avait un petit côté surréaliste à voir Google présenter comme une révolution dans les usages domestiques quelque chose que certains utilisent depuis des années de manière régulière.
Pierre qui roule n'amasse pas mousse
Surréaliste, c'est l'impression qui domine lorsque l'on se penche sur le cas du Nexus Q. On comprend que c'est un appareil important dans la stratégie de Google, et un appareil qui malgré son fonctionnement renversé par rapport aux habitudes pourrait bien séduire et placer la firme de Mountain View dans la course au salon face à Microsoft et Apple. Mais Google n'explique jamais en quoi cet appareil est important — sa vidéo de présentation commence par « la plupart des gens ne comprennent pas ce que c'est la première fois qu'ils le voient » !
De manière générale, cette Google I/O 2012 a montré une société à la recherche de son fil rouge, et encore loin de le trouver. Le Nexus Q est aujourd'hui en concurrence interne avec Google TV, l'ADK (présenté en 2.0 cette semaine), et même les Chromebox, et on ne sait pas vraiment en quoi il s'en distingue et que choisir si l'on veut une maison connectée à Google. Cette confusion règne avec d'autres produits. Project Butter ? Google aurait pu montrer comment il fluidifie les opérations quotidiennes sur Android 4.1, mais a préféré à la place montrer des graphiques et des captures vidéos, oubliant que la Google I/O, comme la WWDC, est autant un événement grand public qu'une conférence des développeurs.
Google Now, qui est potentiellement le plus grand changement de l'histoire de Google, qui passe d'un moteur de recherche à un moteur de connaissances ? Évacué en trois minutes. Google+ Events, qui présente un système particulièrement bien conçu de centralisation de tous les souvenirs autour d'un événement pour les retrouver plus tard ? Coupé dans sa présentation de manière abrupte par une série de cascades pour faire la promotion de Google Glasses, un produit qui ne sera disponible au public qu'en 2014.
Impossible aujourd'hui de dégager une ligne directrice face à cette multiplication d'annonces toutes mises au même plan : Wave était censé réinventer le mail, Google TV la TV, Honeycomb les tablettes, tous ont attiré les gros titres de la presse, tous sont des échecs. Qui dit que le Nexus Q ne connaîtra pas le même sort ? Google, comme Microsoft, est force de proposition, et les nouveautés présentées à la Google I/O vont dans bien des domaines considérablement plus loin qu'Apple. Mais il manque aujourd'hui une histoire, un fil rouge, une narration qui permettrait au grand public de comprendre en quoi ce défilé est important.
Parfois, en faire beaucoup est en faire trop, et en faire trop est ne rien faire. Le succès d'Apple est aussi celui de sa concentration, de sa capacité à raconter une histoire, à mettre en scène le produit, et à susciter non seulement l'acte d'achat, mais aussi l'envie d'utiliser le produit au quotidien, de faire sa vie avec. Google comme Microsoft sont sans doute aux avants-postes technologiques, mais cela ne suffit aujourd'hui plus : ces deux sociétés, surtout Google, doivent aujourd'hui apprendre à communiquer. À donner envie à d'autres personnes qu'aux geeks émerveillés par des lunettes à caméra intégrée. Bref, à dépasser la seule informatique pour vendre du « style de vie ».
Premier appareil conçu et fabriqué par Google de A à Z
Comme Microsoft, Google rejoint le sillon tracé par Apple et suit désormais à la lettre les préceptes édictés par Alan Kay : « ceux qui considèrent le logiciel comme une chose sérieuse devraient concevoir leur propre matériel. » On pourrait aujourd'hui y ajouter les services, d'autant plus incontournables que Google vient de lancer un concurrent d'Amazon S3. Le Nexus Q est ainsi le premier appareil entièrement conçu et fabriqué par Google, sans l'intervention d'un partenaire — il est à ce point important.
Il est d'ailleurs conçu et fabriqué aux États-Unis, un fait qui en dit moins sur Google que sur l'évolution du marché chinois. De nombreux composants de vos appareils sont en effet d'ores et déjà fabriqués aux États-Unis, par exemple le processeur et la mémoire de votre iPhone ou de votre iPad — le Texas a conservé les compétences et les emplois pour le faire. Ce qui est nouveau est que le produit final ne soit pas assemblé en Chine, mais c'est un effet de l'augmentation des salaires sur la côte : ils atteignent désormais 2 à 5 € de l'heure, si bien qu'un assemblage aux États-Unis, où les salaires ouvriers sont à peine plus élevés, a un impact plus minimal sur le prix final de 299 $, qui devrait baisser avec le temps.
Fabriqué aux US, avec un logo ressemblant étrangement à celui de QuickTime.
Plusieurs composants du Nexus Q sont toujours fabriqués en Asie et notamment en Chine, avant d'être renvoyés aux États-Unis : Google, comme les autres fabricants, ne peut nier que ce pays s'est construit comme usine du monde et est incontournable dans certains secteurs. Mais aujourd'hui, l'effet de rattrapage rend la relocalisation appelée par certains depuis des années un rêve à portée de mains. Google est une des premières sociétés de l'industrie informatique à agir, sans pour autant préciser où son produit est fabriqué, même si l'on sait qu'il s'agit d'un sous-traitant en Californie. Elle suit ainsi des sociétés d'autres secteurs, qui sont revenues aux États-Unis et payent certes un peu plus cher leurs employés, mais accèdent aussi à d'autres compétences.
Au-delà de ce « made in USA » qui est important en lui-même mais pas forcément révélateur, c'est le placement du Nexus Q qui est particulièrement original pour Google. C'est un produit véritablement grand public, sans interface ni boutons, avec une forme étrange, et un certain attrait. C'est en fait un produit en forme de trait d'union : il permet à Google d'investir le salon, pièce dans laquelle se joue la plus grande bataille de l'informatique moderne, celle du verrouillage définitif des écosystèmes fermés, ici celui d'Apple avec l'App Store, là celui de Microsoft avec le Windows Marketplace, et enfin celui de Google avec Google Play. Le Q est un produit Nexus car il participe de cet écosystème de facto fermé de Google : le téléphone, la tablette, et le lecteur qui les réunit.
Un lecteur en streaming social, quézako ?
Aussi important soit-il, personne ne comprend vraiment ce qu'est le Nexus Q, notamment parce que Google ne l'a pas vraiment expliqué. Certains le comparent à l'Apple TV : c'est sans doute le plus simple pour appréhender le Nexus Q, mais c'est particulièrement faux. L'Apple TV est une sorte d'iPhone mis dans une boîte noire sous iOS 5. Le Nexus Q est une sorte de Galaxy Nexus mis dans une sphère noire sous Android 4.0 Ice Cream Sandwich. Les similarités s'arrêtent là.
L'Apple TV est un appareil entièrement autonome : vous pouvez l'utiliser avec une télécommande même si vous n'avez pas d'iPhone ou d'iPad, et louer des films, des séries TV, regarder du contenu vidéo sur le web ou écouter de la musique stockée dans iTunes Match. Le Nexus Q, lui, ne peut absolument pas fonctionner sans un autre appareil Android : il ne dispose pas d'une interface utilisateur autonome, même lorsqu'il est relié à un téléviseur. Ainsi, son paramétrage doit être effectué depuis un smartphone ou une tablette Android, même s'il est facilité par un lien NFC. C'est un premier verrou : le Nexus Q ne peut absolument pas exister en dehors de l'écosystème Android.
Comme l'Apple TV, le Nexus Q sert de relais pour écouter de la musique ou lire des vidéos — mais le Nexus Q fonctionne de manière diamétralement opposée. L'Apple TV streame via AirPlay le contenu d'un appareil iOS (musique, vidéo, mode miroir, apps), l'iPhone ou l'iPad servant aussi de télécommande. Avec le Nexus Q, l'appareil Android ne sert que de télécommande : lorsque vous démarrez la lecture d'un film depuis votre Nexus 7 sur votre Nexus Q, la sphère ne lit pas le film depuis la tablette. Non, elle va chercher le même contenu dans le nuage et le lit elle-même — si le contenu n'est pas dans le nuage, il ne peut pas être lu. C'est un deuxième verrou : le Nexus Q ne peut absolument pas exister en dehors de l'écosystème Google Play.
Ce fonctionnement à rebours n'est pas illogique, au contraire : il est parfaitement révélateur du rôle du Nexus Q dans l'écosystème Google Play que la firme de Mountain View est en train de construire. Les appareils Android, Nexus Q y compris, peuvent être bidouillés, certes — mais le verrouillage s'effectue dans le nuage. Comment donc qualifier cet étrange appareil, trois fois plus cher que l'Apple TV mais pas aussi autonome, à la fois plus puissant et moins fonctionnel ?
Google propose « lecteur en streaming social », arguant que le Nexus Q serait le premier du genre. Ce qui est faux : l'Apple TV de première génération, il y a cinq ans, embarquait iTunes DJ, qui permet à tout un chacun d'ajouter de la musique à une liste de lecture en cours via un appareil iOS. Il y avait un petit côté surréaliste à voir Google présenter comme une révolution dans les usages domestiques quelque chose que certains utilisent depuis des années de manière régulière.
Pierre qui roule n'amasse pas mousse
Surréaliste, c'est l'impression qui domine lorsque l'on se penche sur le cas du Nexus Q. On comprend que c'est un appareil important dans la stratégie de Google, et un appareil qui malgré son fonctionnement renversé par rapport aux habitudes pourrait bien séduire et placer la firme de Mountain View dans la course au salon face à Microsoft et Apple. Mais Google n'explique jamais en quoi cet appareil est important — sa vidéo de présentation commence par « la plupart des gens ne comprennent pas ce que c'est la première fois qu'ils le voient » !
De manière générale, cette Google I/O 2012 a montré une société à la recherche de son fil rouge, et encore loin de le trouver. Le Nexus Q est aujourd'hui en concurrence interne avec Google TV, l'ADK (présenté en 2.0 cette semaine), et même les Chromebox, et on ne sait pas vraiment en quoi il s'en distingue et que choisir si l'on veut une maison connectée à Google. Cette confusion règne avec d'autres produits. Project Butter ? Google aurait pu montrer comment il fluidifie les opérations quotidiennes sur Android 4.1, mais a préféré à la place montrer des graphiques et des captures vidéos, oubliant que la Google I/O, comme la WWDC, est autant un événement grand public qu'une conférence des développeurs.
Google Now, qui est potentiellement le plus grand changement de l'histoire de Google, qui passe d'un moteur de recherche à un moteur de connaissances ? Évacué en trois minutes. Google+ Events, qui présente un système particulièrement bien conçu de centralisation de tous les souvenirs autour d'un événement pour les retrouver plus tard ? Coupé dans sa présentation de manière abrupte par une série de cascades pour faire la promotion de Google Glasses, un produit qui ne sera disponible au public qu'en 2014.
Impossible aujourd'hui de dégager une ligne directrice face à cette multiplication d'annonces toutes mises au même plan : Wave était censé réinventer le mail, Google TV la TV, Honeycomb les tablettes, tous ont attiré les gros titres de la presse, tous sont des échecs. Qui dit que le Nexus Q ne connaîtra pas le même sort ? Google, comme Microsoft, est force de proposition, et les nouveautés présentées à la Google I/O vont dans bien des domaines considérablement plus loin qu'Apple. Mais il manque aujourd'hui une histoire, un fil rouge, une narration qui permettrait au grand public de comprendre en quoi ce défilé est important.
Parfois, en faire beaucoup est en faire trop, et en faire trop est ne rien faire. Le succès d'Apple est aussi celui de sa concentration, de sa capacité à raconter une histoire, à mettre en scène le produit, et à susciter non seulement l'acte d'achat, mais aussi l'envie d'utiliser le produit au quotidien, de faire sa vie avec. Google comme Microsoft sont sans doute aux avants-postes technologiques, mais cela ne suffit aujourd'hui plus : ces deux sociétés, surtout Google, doivent aujourd'hui apprendre à communiquer. À donner envie à d'autres personnes qu'aux geeks émerveillés par des lunettes à caméra intégrée. Bref, à dépasser la seule informatique pour vendre du « style de vie ».