Depuis l'an dernier, Apple muscle son équipe de spécialistes dont la mission est de créer un CDN « maison » (Content Delivery Network), à savoir un réseau de serveurs permettant de distribuer du contenu — en général volumineux comme de la vidéo — aux utilisateurs de ses services. La Pomme emprunte actuellement les tuyaux de plusieurs fournisseurs comme Akamai, un contrat qui dure depuis 1999 et qui a permis à l'époque de lancer Quicktime TV (distribution d'audio et de vidéo). Avec le temps, le constructeur a multiplié les contenus, que l'on songe aux films et séries TV distribués via l'iTunes Store, ou encore au bouquet de services web d'iCloud.
Le CDN de la Pomme se destinerait d'ailleurs en premier lieu à l'amélioration des performances d'iCloud. De plus, pour une entreprise comme Apple, gérer l'expérience utilisateur de bout en bout, c'est à dire du matériel à la distribution de services web en passant par le système d'exploitation, a beaucoup de sens. Apple ne ferait d'ailleurs que rejoindre Microsoft, Pandora, Yahoo, eBay, Facebook, Amazon, Netflix et d'autres.
Le faisceau d'indices qui nous faisait penser début février qu'Apple avait l'ambition de créer son propre CDN se renforce aujourd'hui (lire : Apple prépare son CDN pour distribuer ses contenus sur Internet). Le site StreamingMedia, à l'origine de cette rumeur, en remet en effet une couche ce mardi en dévoilant qu'Apple serait en phase de négociation avec les plus importants fournisseurs d'accès à internet américains afin d'obtenir des prix intéressants pour les tarifs d'interconnexion. L'idée ici est de faciliter la connexion entre le réseau d'Apple et les tuyaux des FAI.
La neutralité du net est mise à mal ces derniers temps par la volonté de la FCC (la commission américaine en charge des télécommunications) d'autoriser la création de « voies rapides » (« fast lanes ») qui permettront aux services internet les plus gourmands en bande passante — mais aussi les plus fortunés — de payer les FAI pour bénéficier d'une distribution plus rapide de leurs contenus. Netflix a ainsi signé avec Verizon et Comcast un accord « fast lane » pour que ses abonnés n'aient pas à souffrir d'une dégradation du service, les fournisseurs d'accès ayant reproché à l'entreprise de consommer trop de ressources (Netflix représente, aux heures de pointe, environ un tiers de la bande passante disponible).
Dans ce débat, une coalition de plusieurs entreprises et services internet tente de faire pencher la balance vers la neutralité du net, tandis que les fournisseurs d'accès, très puissants aux États-Unis, cherchent à diversifier leurs revenus quitte à déroger à un principe sacro-saint du web. Apple n'est pas rentrée dans cette controverse, conservant un silence prudent. Il semble que le constructeur ait cependant choisi son camp : alors que les opposants au FCC et aux FAI estiment que les CDN devraient obtenir toute la bande passante désirée sans coûts additionnels, la Pomme joue la carte du pragmatisme en négociant des tarifs pour relier son CDN aux tuyaux des FAI (peering). Apple n'a certes pas les mêmes besoins qu'un Netflix (2% de la bande passante, d'après la dernière étude Sandvine), exception faite lors de la mise en ligne d'importantes mises à jour; lors de la première nuit de son lancement, iOS 7 a ainsi représenté 40% du trafic web chez les FAI.
On observe cependant qu'à l'exception de Netflix, aucun propriétaire de CDN ne s'est plaint du business des tarifs d'interconnexion. Cela ne signifie en rien une prise de position pour ou contre la neutralité du net; mais qu'on l'accepte ou pas, le pragmatisme l'emporte parfois sur les convictions.