Après de bons résultats trimestriels et la promesse qu’ils bénéficieraient directement du rapatriement des liquidités d’Apple, les investisseurs ont porté l’action AAPL vers un nouveau record historique, au-delà des 207 $. La capitalisation boursière de la firme de Cupertino franchit ainsi la barre — ô combien symbolique — des 1 000 milliards de dollars. L’occasion de rappeler deux petits détails qui font la différence.
D’abord, que 1 000 milliards ne font pas un « trillion », du moins pas dans les pays francophones. La confusion provient de l’usage de différentes « échelles » de nomenclature des grands nombres. Les États-Unis et la plupart des pays anglophones utilisent l’« échelle courte » où 1 000 millions font un billion et 1 000 billions font un trillion.
La plupart des pays européens et les pays francophones utilisent l’« échelle longue » où 1 000 millions font un milliard et 1 000 milliards un billion1. L’usage a varié au fil du temps, mais est désormais bien établi (aucun Français ne parle de « billion d’euros » pour dire « milliard d’euros ») et même légalisé (décret 61-501 du 3 mai 1961).
Ensuite, que cet événement n’est pas tout à fait une première dans l’histoire, sauf à restreindre l’histoire aux dix dernières années dans les pays occidentaux. Sans remonter à la United East India Company2 et lancer un débat sur les mérites des comparaisons monétaires à l’échelle historique, ou même seulement à la Standard Oil Company3 et lancer un débat sur l’ajustement pour l’inflation, il faut parler de l’entrée de PetroChina à la bourse de Shanghai en 2007.
Une entrée fracassante, permettant au géant chinois du pétrole de franchir la barre du billion dans la journée, et d’éclipser tous ses rivaux… pendant quelques moments et selon une méthode de calcul contestée. Le cours est redescendu aussi vite qu’il était monté et dix ans plus tard, la société avait perdu plus de 800 milliards de dollars de capitalisation, la plus forte chute de l’histoire moderne.
Mais enfin, le passage du cap du billion est une véritable performance pour une société qui, rappelons-le, était donnée pour morte il y a 20 ans. Apple a su jouer du système financier mondial, avec talent mais aussi avec cynisme, pour maximiser ses gains. Reste qu’elle n’aurait jamais rien gagné sans avoir conçu des produits capables de séduire des centaines de millions de clients. Ces vingt dernières années, Apple a vendu 205 millions de Mac, 381 millions d’iPad, 396 millions d’iPod, et surtout 1,25 milliard d’iPhone.
Le succès d’Apple est, de manière générale, celui du secteur technologique américain. Amazon pèse 871 milliards de dollars, Google un peu de plus de 843 milliards, Microsoft environ 814 milliards. Les historiens tracent des parallèles avec d’autres moments de l’histoire américaine, du succès des trusts alliant énergie et transport aux heures folles de la finance, en passant par l’émergence des télécoms au début des années 1970.
À chaque fois qu’une poignée d’acteurs a pesé sur les indices de manière disproportionnée, le régulateur est intervenu. L’heure n’est pas aux démantèlements spectaculaires, façon Standard Oil ou AT&T, mais la pression est réelle. Les cadres de Facebook connaissent les travées du Congrès américain comme leur poche, les avocats de Google ont pris des appartements à Bruxelles et Washington, et le président américain en personne menace Amazon.
Apple elle-même n’est pas épargnée : la Commission européenne lui a ordonné de rembourser 13 milliards d’euros « d’aides illégales », des réductions d’impôts offertes par le gouvernement irlandais depuis 2003. Si la menace ne vient pas des gouvernements, elle viendra peut-être de la Chine. En ajoutant Facebook, cinq géants américains des technologies figurent parmi les dix premières capitalisations boursières, mais aussi deux chinois. Tencent, un immense conglomérat qui recouvre des centaines d’activités, et Alibaba, que l’on peut décrire comme l’« Amazon chinois », sont en embuscade.
Dans l’échelle longue, un trillion représente un milliard de milliards (1018), autrement dit un million de millions de millions (106 × 106 × 106), c’est-à-dire un million à la puissance trois. Un billion représente un million de millions (1012), c’est-à-dire un million à la puissance deux (106 × 106).↩
La première société cotée au sens moderne du terme, fondée en 1602 comme une compagnie à charte chargée du commerce avec l’Inde et les pays d’Asie du Sud-Est. L’une des sociétés les plus puissantes de l’époque, elle reste sans doute la plus grande société jamais créée, avec une capitalisation équivalente à 7 ou 8 000 milliards de dollars actuels. Après sa dissolution en 1799, ses possessions ont formé la base de l’empire colonial néerlandais.↩
La firme pétrolière de John D. Rockefeller, un exemple classique de trust avec une forte intégration horizontale, démantelée en 1911 après une décision historique de la Cour suprême.↩