La deuxième saison des Chroniques numériques de Chine se poursuit. Entre anecdotes personnelles et analyses de faits de société, Mathieu Fouquet continue son exploration des pratiques technologiques chinoises décidément bien étrangères.
Pour les utilisateurs du Mac, ces dernières années n’auront certainement pas manqué de moments anxiogènes. Même les fans inconditionnels de la Pomme reconnaîtront qu’il peut être agaçant qu’une machine soit délaissée pendant presque quatre ans (ou cinq, mais ne rouvrons pas les vieilles plaies), qu’une faille comique ouvre le compte administrateur de macOS aux quatre vents ou qu’un atome de poussière anéantisse le clavier d’un ordinateur à 2 000 €.
Les bugs (logiciels et matériels) arrivent, bien entendu. Mais le problème était (et reste encore, dans une bonne mesure) la dégradation progressive de l’image de marque du Mac. Il semblait que l’ordinateur historique d’Apple n’était plus au centre des préoccupations de Cupertino et s’endormait lentement dans l’ombre gigantesque de l’iPhone. Même le vénérable macOS semblait de plus en plus évoluer à un train de sénateur, grappillant tant bien que mal quelques fonctionnalités de son petit (?) frère iOS (telles que Siri et APFS).
Aujourd’hui, et à plus forte raison après les annonces de la WWDC 2018, il est plus raisonnable que jamais d’être optimiste sur l’avenir du Mac : Apple semble avoir pris conscience de l’importance de continuer à produire des « camions » ultra-puissants pour les professionnels (tels que l’iMac Pro et le nouveau Mac Pro promis pour 2019) et de redonner un coup de fouet à l’écosystème logiciel du Mac, avec un Mac App Store repensé et un projet de framework commun entre iOS et macOS (le fameux « Marzipan »).
L’avantage de ce système, bien sûr, c’est que des applications sorties à l’origine sur iPhone et iPad pourront s’inviter sur le Mac, moyennant quelques efforts de la part des développeurs (et quelques adaptations à l’interface du Mac, peut-on espérer). Ces applications d’un nouveau genre présenteront un avantage par rapport à la multitude d’applications Electron qui existent aujourd’hui, car elles seront natives et non basées sur des technologies web, dont les performances sont souvent décevantes.
Serait-ce enfin la fin des applications peu optimisées ? Slack, Discord et WhatsApp (pour ne citer qu’elles) abandonneront-elles Electron pour se lancer la tête la première dans Marzipan ? Cette technologie inaugurera-t-elle automatiquement un nouvel âge d’or des applications natives ?
Sans se lancer dans du négativisme sans fondement, il est au moins permis d’en douter : tous les développeurs qui proposent actuellement une app Electron ne souhaiteront pas forcément se lancer dans le grand chantier d’un changement de framework, d’autant plus qu’Electron a l’avantage d’être multiplateforme. En outre, certaines applications Electron n’ont aucun équivalent sur iOS, ce qui complexifie encore davantage la situation.
Autrement dit, si UIKit pourra permettre à certaines applications d’enfin arriver sur Mac, tout le reste dépendra des développeurs, de leurs contraintes et de leur bonne volonté. Maintenir un écosystème sain d’applications tierces natives, c’est un véritable casse-tête chinois…
À part en Chine, bizarrement.
Le règne du natif
Alors que Twitter se fait un malin plaisir de tirer dans les pattes de ses utilisateurs les plus actifs et de démanteler petit à petit son écosystème de clients tiers (et de clients tout court, macOS ne disposant même plus d’une application officielle), les messageries instantanées et réseaux sociaux chinois ignorent tout de ce problème.
Exister dans un marché de centaines de millions d’utilisateurs rentabiliserait-il davantage le développement d’applications macOS ? Le paysage numérique chinois aurait-il connu une évolution moins centrée sur les technologies web ? Les sociétés qui dégradent joyeusement l’expérience utilisateur au nom d’une politique douteuse sont-elles moins nombreuses dans l’Empire du Milieu ? Quelle que soit la réponse, Weibo, WeChat et QQ proposent tous une application macOS native.
Weibo, le « Twitter chinois », représente d’ailleurs peut-être un espoir pour tous les utilisateurs de Mac amateurs du réseau à l’oiseau bleu : une fois que Twitter nous aura tous forcés à poster depuis un navigateur web, peut-être pourrons-nous tous nous retrouver sur Weibo. Nous serons entourés de messages en chinois, certes, mais nous pourrons au moins confortablement tweeter (« weibo-er » ?) depuis un client pensé pour le Mac.
C’est ça ou Mastodon, en tout cas.
Soyons honnêtes, cependant : le souci premier de ces clients officiels n’est pas de respecter absolument la parité entre les plateformes. WeChat sous macOS, par exemple, n’est pas l’équivalent parfait de WeChat sous iOS. Certaines fonctionnalités, comme les mini-applications ou les fameuses enveloppes rouges, sont aux abonnés absents (mais faut-il vraiment s’en étonner, alors qu’Apple elle-même n’a pas fait l’effort d’apporter toutes les nouveautés de Messages iOS à la version Mac ?). Pour le reste, la version Mac de WeChat fait le travail qu’on lui demande à travers une interface native : envoyer des messages, créer des discussions, envoyer et recevoir des documents… Mieux vaut peu que rien du tout.
Bien entendu, il reste des pistes d’amélioration pour le support multiplateforme de WeChat. Je n’ai par exemple jamais réussi à me connecter en même temps sur deux appareils en plus de l’iPhone : si je me connecte au Mac, il me faut me déconnecter de l’iPad, et vice versa. Une limite bien étrange en 2018. Il n’y pas non plus de synchronisation des messages dans le nuage ou de stockage permanent des conversations sur le Mac : si je relance l’application, je perds mes messages (mais ils restent accessibles sur l’iPhone). Le Mac n’échappe donc pas à son statut de citoyen de second rang, mais saluons tout de même l’effort.
La version Mac de QQ fonctionne quant à elle presque à l’identique (il faut dire qu’une seule société possède ces deux services). On peut s’y connecter en scannant un code QR avec son téléphone, ou — pour les plus ringards d’entre nous — en saisissant ses identifiants. Là où QQ pour Mac se distingue en revanche, c’est par la richesse de ses fonctions. Rendez-vous compte : on peut lancer un partage d’écran ou s’envoyer des wizz… qui font même vibrer le téléphone du destinataire. 2005, tu m’avais manqué.
Pendant ce temps, Facebook — en plus de ne pas essayer de ressusciter les « meilleures » fonctionnalités de MSN Messenger — ne se fatigue même pas à proposer un client Messenger pour macOS (ou un client tout court, du reste). À quoi diable sert donc leur capitalisation boursière ?
Toutes les catégories d’applications sont concernées
L’aspect le plus impressionnant du paysage logiciel chinois, c’est que les réseaux sociaux et les messageries instantanées sont loin d’être les seuls types de services à bénéficier d’applications Mac natives. Netflix n’est accessible sous macOS que depuis un navigateur ? Youku et ses principaux compétiteurs proposent tous une application native.
Même situation du côté du streaming musical : alors que le support du Mac est aléatoire de notre côté du globe (Spotify n’est pas franchement natif et d’autres services comme Youtube Music ne sont accessibles que depuis le web), tous les services chinois majeurs proposent — vous l’aurez deviné — un client Mac natif.
La liste est pratiquement infinie : clients mail (imaginez l’équivalent d’un client Gmail officiel pour le Mac), gestion de photos et de documents dans le nuage, applications linguistiques (traduction, dictionnaires en ligne, etc.)… Si un service chinois existe, on peut parier sans risque qu’il dispose de sa propre application native.
La Muraille frappe à nouveau
Il faut croire que l’Empire du Milieu est destiné à toujours contenir des écosystèmes parallèles que nous ne pouvons que trop facilement ignorer, immergés que nous sommes dans notre propre constellation de services occidentaux. Et pourtant, il serait dommage d’ignorer cette ribambelle d’applications natives : aussi imparfaites soient-elles par moments, elles nous rappellent que les technologies informatiques n’avancent pas sur un chemin tout tracé, et que le Mac mérite de garder une place de choix dans la gamme d’ordinateurs Apple.
Tant qu’Apple ne l’oublie pas, tout ira bien.
Merci au fil Twitter de Luming Yin, qui a servi d’inspiration et de ressource pour cet article.