En à peine quelques jours, alors qu'il n'est pas même encore disponible à la vente, l'iPad a complètement bouleversé l'échiquier de la distribution en ligne des livres numériques, jusqu'ici chasse gardée d'Amazon. La collaboration mâtinée de concurrence entre les deux sociétés ne date pourtant pas d'aujourd'hui, mais les derniers développements ont exacerbé la situation, et Amazon se trouve bousculée sur différents fronts.
De la collaboration à l'inspiration
Amazon est bien sûr un gros vendeur de Mac et d'iPods, mais la société de Steve Jobs a aussi collaboré avec Amazon en faisant partie des quelques sociétés à obtenir en 2000 une licence de la technologie (ou disons plutôt du brevet) "one click" d'Amazon pour l'Apple Store en ligne et pour iTunes. La chose permettant aux utilisateurs d'iTunes d'acheter leur musique en un seul clic, à la manière des achats sur le site marchand d'Amazon. Ironie du sort, Amazon finit par lancer une offre concurrente du même iTunes avec Amazon MP3 en 2007, poussée par les majors qui voyaient d'un mauvais œil l'absence de concurrence à l'hégémonie d'iTunes (voir notre article iTunes : le double jeu des Majors).
Et c'est sur le modèle de l'écosystème iTunes + iPod à succès qu'Amazon va bâtir son offre pour les livres numériques, avec d'un côté le Kindle et de l'autre le Kindle Store. Amazon fait montre d'un certain pragmatisme pour renforcer sa plateforme en proposant une application pour iPhone qui permet de lire les œuvres achetées sur son Kindle Store.
Steve Jobs y rendra d'ailleurs un hommage appuyé lors de la présentation de l'iPad : "Amazon a fait du bon boulot en étant la première à offrir cette fonctionnalité avec le Kindle. Nous allons nous appuyer sur leur réussite et aller un peu plus loin".
Les éditeurs exploitent l'arrivée d'Apple sur le marché
La première conséquence pour Amazon fut, au plus fort des rumeurs sur l'iPad et en anticipant son arrivée, de réviser le partage des revenus sur son magasin en ligne (voir Amazon plus partageuse sur son Kindle) : alors qu'Amazon conservait jusque là 70 % du prix de vente, le rapport s'est inversé pour reproduire ce qu'Apple propose sur l'App Store : 70 % pour les vendeurs, 30 % pour Amazon.
Mais en arrivant sur ce marché, Apple fait figure d'éléphant dans un jeu de quille : les éditeurs de livres, voyant arriver une concurrence pour le Kindle Store, se sont trouvés en position de force pour se faire désirer des uns comme des autres. Pour accorder une signature à Apple, ils ont exigé des tarifs plus élevés que ceux proposés jusqu'ici sur le Kindle Store, car la montée en puissance des eBooks mettait à mal leur poule aux œufs d'or : le livre relié. Ceux-ci réalisent en effet de confortables marges, comparativement au livre de poche. Les éditeurs avaient ainsi bâti une "chronologie" du livre : les titres sortent d'abord en éditions reliées à un tarif élevé, puis en poche. Le public acceptait la différence de prix sur le sentiment de qualité différente, mais le livre relié, s'il coûte en effet plus cher à produire que le livre de poche, ne justifie pas pour autant cet écart notable. L'e-book est venu bouleverser la donne, en étant publié simultanément au livre relié pour un tarif très inférieur. Qui plus est, ceux qui peuvent se permettre d'acheter des livres dès leur sortie sont également en mesure de s'offrir une liseuse électronique. Une fois son acquisition faite, pourquoi diable dépenser une somme plus importante si le même livre peut être obtenu à un tarif plus raisonnable au même moment ?
Avec l'arrivée d'Apple sur ce marché, les éditeurs ont vu un moyen de rétablir leur contrôle sur les prix de vente des livres, un contrôle qu'ils avaient notamment perdu sur le marché américain. Apple a donc accepté les prix plus élevés, à la condition toutefois que leurs concurrents soient logés à la même enseigne, ce que Steve Jobs annonçait à mots couverts à Walt Mossberg peu après la présentation de l'iPad (voir Amazon, Apple, Jobs et Mossberg).
La réalisation de la prophétie ne s'est d'ailleurs pas faite attendre. Amazon et l'éditeur Macmillan, un des partenaires d'Apple pour l'iBooks Store, se sont livré à une bataille retentissante, mais vite résolue, sur fond de désaccord tarifaire, Amazon allant jusqu'à temporairement retirer les références de Macmillan sur son site (voir Amazon/Macmillan : la guerre éclair).
Si Amazon a cédé face à Macmillan, elle espère à voix haute que les autres éditeurs ne suivront pas cet exemple, mais rien n'est moins sûr : Rupert Murdoch, qui possède les éditions HarperCollins (autre nom cité par Steve Jobs), a déjà fait savoir qu'il comptait revoir le prix de vente de ses ouvrages pour le Kindle (voir Amazon subit à nouveau la pression d'Apple), et Hachette a suivi la même voie (voir Amazon : Hachette Books rejoint la rébellion). De là à ce qu'au moins les deux autres éditeurs embarqués pour l'iBooks Store (Penguin et Simon & Schuster) leur emboîtent le pas, il n'y a pas loin. Dans l'affaire, au delà d'Amazon, ce sont les consommateurs finaux qui en sont pour leurs frais.
Un écart technologique pesant
Amazon n'a pas fini d'en baver pour autant : l'iPad se positionne très agressivement face au Kindle. Le modèle haut de gamme, le Kindle DX, ne coûte que $10 de moins que l'iPad d'entrée de gamme, pour un écran e-ink de 16 niveaux de gris, non tactile, et beaucoup moins réactif que l'écran LCD de l'iPad de la même taille, et qui présente surtout beaucoup moins de fonctionnalités (voir Quelle place pour l'iPad dans la gamme d'Apple). Le Kindle a toutefois pour lui d'intégrer une puce 3G sans abonnement, et l'écran e-ink offre un confort de lecture similaire au papier, tout en permettant une longévité record : jusqu'à une semaine d'utilisation sur une seule charge. Le Kindle DX est également plus fin (9,6 mm contre 13,4 pour l'iPad) et plus léger (535 grammes contre 680 pour l'iPad WiFi). Cependant ces atouts semblent bien légers face à la force de frappe de l'App Store, le Kindle se limitant peu ou prou à la lecture d'e-books, quand l'iPad offre infiniment plus.
Amazon s'adapte à la nouvelle donne en un temps record
Amazon prépare la contre offensive, en ayant lancé un SDK qui permettra de créer des applications pour le Kindle, mais celles-ci seront limitées par la forte latence de l'écran e-ink (voir notre article Un App Store pour le Kindle). Pour le reste, Amazon prépare d'ores et déjà l'avenir pour être plus compétitive en rachetant TouchCo, une entreprise qui détient une technologie multitouch (voir notre article Amazon rachète une technologie multitouch pour le Kindle).
Bref, en quelques semaines, il aura fallu qu'Amazon fasse feu de tout bois pour répondre à la nouvelle donne de l'iPad, qui bouleverse ses rapports avec ses fournisseurs comme avec ses clients et remet en question l'économie de son écosystème propre. Reste encore une inconnue : si la menace existe, rien ne garantit pour autant que l'iPad connaîtra un succès commercial, ce qui devrait être établi dans les premières semaines de sa commercialisation. Quoi qu'il en soit, nul doute qu'Amazon n'aura pas très bien pris la chose et que la contre-offensive fera preuve de quelque agressivité, ouverte ou tacite.
De la collaboration à l'inspiration
Amazon est bien sûr un gros vendeur de Mac et d'iPods, mais la société de Steve Jobs a aussi collaboré avec Amazon en faisant partie des quelques sociétés à obtenir en 2000 une licence de la technologie (ou disons plutôt du brevet) "one click" d'Amazon pour l'Apple Store en ligne et pour iTunes. La chose permettant aux utilisateurs d'iTunes d'acheter leur musique en un seul clic, à la manière des achats sur le site marchand d'Amazon. Ironie du sort, Amazon finit par lancer une offre concurrente du même iTunes avec Amazon MP3 en 2007, poussée par les majors qui voyaient d'un mauvais œil l'absence de concurrence à l'hégémonie d'iTunes (voir notre article iTunes : le double jeu des Majors).
Et c'est sur le modèle de l'écosystème iTunes + iPod à succès qu'Amazon va bâtir son offre pour les livres numériques, avec d'un côté le Kindle et de l'autre le Kindle Store. Amazon fait montre d'un certain pragmatisme pour renforcer sa plateforme en proposant une application pour iPhone qui permet de lire les œuvres achetées sur son Kindle Store.
Steve Jobs y rendra d'ailleurs un hommage appuyé lors de la présentation de l'iPad : "Amazon a fait du bon boulot en étant la première à offrir cette fonctionnalité avec le Kindle. Nous allons nous appuyer sur leur réussite et aller un peu plus loin".
Les éditeurs exploitent l'arrivée d'Apple sur le marché
La première conséquence pour Amazon fut, au plus fort des rumeurs sur l'iPad et en anticipant son arrivée, de réviser le partage des revenus sur son magasin en ligne (voir Amazon plus partageuse sur son Kindle) : alors qu'Amazon conservait jusque là 70 % du prix de vente, le rapport s'est inversé pour reproduire ce qu'Apple propose sur l'App Store : 70 % pour les vendeurs, 30 % pour Amazon.
Mais en arrivant sur ce marché, Apple fait figure d'éléphant dans un jeu de quille : les éditeurs de livres, voyant arriver une concurrence pour le Kindle Store, se sont trouvés en position de force pour se faire désirer des uns comme des autres. Pour accorder une signature à Apple, ils ont exigé des tarifs plus élevés que ceux proposés jusqu'ici sur le Kindle Store, car la montée en puissance des eBooks mettait à mal leur poule aux œufs d'or : le livre relié. Ceux-ci réalisent en effet de confortables marges, comparativement au livre de poche. Les éditeurs avaient ainsi bâti une "chronologie" du livre : les titres sortent d'abord en éditions reliées à un tarif élevé, puis en poche. Le public acceptait la différence de prix sur le sentiment de qualité différente, mais le livre relié, s'il coûte en effet plus cher à produire que le livre de poche, ne justifie pas pour autant cet écart notable. L'e-book est venu bouleverser la donne, en étant publié simultanément au livre relié pour un tarif très inférieur. Qui plus est, ceux qui peuvent se permettre d'acheter des livres dès leur sortie sont également en mesure de s'offrir une liseuse électronique. Une fois son acquisition faite, pourquoi diable dépenser une somme plus importante si le même livre peut être obtenu à un tarif plus raisonnable au même moment ?
Avec l'arrivée d'Apple sur ce marché, les éditeurs ont vu un moyen de rétablir leur contrôle sur les prix de vente des livres, un contrôle qu'ils avaient notamment perdu sur le marché américain. Apple a donc accepté les prix plus élevés, à la condition toutefois que leurs concurrents soient logés à la même enseigne, ce que Steve Jobs annonçait à mots couverts à Walt Mossberg peu après la présentation de l'iPad (voir Amazon, Apple, Jobs et Mossberg).
La réalisation de la prophétie ne s'est d'ailleurs pas faite attendre. Amazon et l'éditeur Macmillan, un des partenaires d'Apple pour l'iBooks Store, se sont livré à une bataille retentissante, mais vite résolue, sur fond de désaccord tarifaire, Amazon allant jusqu'à temporairement retirer les références de Macmillan sur son site (voir Amazon/Macmillan : la guerre éclair).
Si Amazon a cédé face à Macmillan, elle espère à voix haute que les autres éditeurs ne suivront pas cet exemple, mais rien n'est moins sûr : Rupert Murdoch, qui possède les éditions HarperCollins (autre nom cité par Steve Jobs), a déjà fait savoir qu'il comptait revoir le prix de vente de ses ouvrages pour le Kindle (voir Amazon subit à nouveau la pression d'Apple), et Hachette a suivi la même voie (voir Amazon : Hachette Books rejoint la rébellion). De là à ce qu'au moins les deux autres éditeurs embarqués pour l'iBooks Store (Penguin et Simon & Schuster) leur emboîtent le pas, il n'y a pas loin. Dans l'affaire, au delà d'Amazon, ce sont les consommateurs finaux qui en sont pour leurs frais.
Un écart technologique pesant
Amazon n'a pas fini d'en baver pour autant : l'iPad se positionne très agressivement face au Kindle. Le modèle haut de gamme, le Kindle DX, ne coûte que $10 de moins que l'iPad d'entrée de gamme, pour un écran e-ink de 16 niveaux de gris, non tactile, et beaucoup moins réactif que l'écran LCD de l'iPad de la même taille, et qui présente surtout beaucoup moins de fonctionnalités (voir Quelle place pour l'iPad dans la gamme d'Apple). Le Kindle a toutefois pour lui d'intégrer une puce 3G sans abonnement, et l'écran e-ink offre un confort de lecture similaire au papier, tout en permettant une longévité record : jusqu'à une semaine d'utilisation sur une seule charge. Le Kindle DX est également plus fin (9,6 mm contre 13,4 pour l'iPad) et plus léger (535 grammes contre 680 pour l'iPad WiFi). Cependant ces atouts semblent bien légers face à la force de frappe de l'App Store, le Kindle se limitant peu ou prou à la lecture d'e-books, quand l'iPad offre infiniment plus.
Amazon s'adapte à la nouvelle donne en un temps record
Amazon prépare la contre offensive, en ayant lancé un SDK qui permettra de créer des applications pour le Kindle, mais celles-ci seront limitées par la forte latence de l'écran e-ink (voir notre article Un App Store pour le Kindle). Pour le reste, Amazon prépare d'ores et déjà l'avenir pour être plus compétitive en rachetant TouchCo, une entreprise qui détient une technologie multitouch (voir notre article Amazon rachète une technologie multitouch pour le Kindle).
Bref, en quelques semaines, il aura fallu qu'Amazon fasse feu de tout bois pour répondre à la nouvelle donne de l'iPad, qui bouleverse ses rapports avec ses fournisseurs comme avec ses clients et remet en question l'économie de son écosystème propre. Reste encore une inconnue : si la menace existe, rien ne garantit pour autant que l'iPad connaîtra un succès commercial, ce qui devrait être établi dans les premières semaines de sa commercialisation. Quoi qu'il en soit, nul doute qu'Amazon n'aura pas très bien pris la chose et que la contre-offensive fera preuve de quelque agressivité, ouverte ou tacite.